Deux de nos auteurs, Hector Poullet et Divi Kervella ont traduit Astérix. Impressions croisées.

Hector Poullet et Divi Kervella ont plusieurs points communs, qu’ils ignoraient peut-être avant que nous leur proposions cet entretien : tous deux sont auteurs chez Assimil et tous deux ont traduit Astérix.Hector Poullet vit en Guadeloupe ; il est l’auteur du créole guadeloupéen dans la collection sans peine et de guides de conversation consacrés à cette langue dont il est un des chantres les plus dynamiques. Il a également publié des contes, de la poésie et traduit de la littérature. Dans un endroit du monde où l’on enseignait encore, il n’y a pas si longtemps, « Nos ancêtres les Gaulois », il peut paraître quelque peu incongru de traduire des aventures du plus célèbre d’entre eux. Cela a d’ailleurs valu à Hector Poullet de nombreuses critiques, mais il n’en avait cure car il voyait bien la part d’irrévérence que Goscinny et Uderzo avaient mise dans leurs albums, aux antipodes d’une quelconque idéologie mettant l’homme blanc au centre du monde…
Divi Kervella est également un auteur de méthodes d’apprentissage et de guides de conversation chez Assimil, et c’est un spécialiste du breton. Il a traduit de nombreux livres et des bandes dessinées du français au breton (Tintin, Le Chat, Astérix…). Pour un Breton, un Gaulois (et qui est d’abord un Celte avant d’être un Breton) dont le village est situé en Bretagne (comme Astérix) présente forcément une saveur particulière. Astérix est traduit dans plus de 100 langues à travers le monde. A l’occasion de l’exposition exceptionnelle Astérix à la BnF !, nous avons interrogé ces deux auteurs sur leurs travaux de traduction respectifs et le regard qu’ils portent sur l’œuvre d’Uderzo et Goscinny.

Assimil : Quel(s) album(s) d’Astérix avez-vous traduit ?
Hector Poullet : Jean-Marc Rosier (de la Martinique) et moi n’avons traduit qu’un seul album d’Astérix en créole : Le Grand Fossé, que nous avons nommé Gran kannal-la (le Grand Canal, faisant allusion au Canal de la Dominique qui se trouve entre la Guadeloupe et la Martinique). Nous avons travaillé par mail, lui se chargeait de traduire en créole de la Martinique les partisans du chef Tournedix et moi en créole de la Guadeloupe celui des partisans du chef Ségrégationnix. Ce travail, une commande de notre éditeur Caraïbeditions, nous l’avons accepté pour faire un double clin d’œil aux lecteurs d’Astérix, celui de nos ancêtres les gaulois qui probablement parlaient un créole de latin (qui deviendra le français), et le clin d’œil du fossé qui sépare les Guadeloupéens des Martiniquais. Je suis plutôt de la génération “Pieds Nickelés » ( j’ai toute la collection), “Bibi Fricotin”, “Fantôme du Bengale” etc. Mais après le succès de la traduction du Grand Fossé d’Astérix, Caraïbéditions m’a initié à l’écriture de Manga et nous avons lancé une série, premier manga des Antilles francophones : Les Iles du vent.
Divi Kervella : Astérix et la rentrée gauloise. Il s’agit d’un album qui regroupe diverses histoires courtes. La traduction a été faite dans le cadre d’une édition conjointe en diverses “langues de France” (corse, occitan, picard…) en 2004.

A : Est-ce que vous étiez déjà des lecteurs d’Astérix avant cette entreprise de traduction ?
HP : Des lecteurs d’Astérix, oui bien sûr, mais certainement pas aussi passionnés de bandes dessinées que Florent Charbonnier, le directeur de Caraïbeditions…
DK : Tout à fait! Je suis de la “génération Astérix”. J’ai grandi en découvrant les albums du début de l’aventure Astérix, comme Le Tour de Gaule ou bien encore Astérix et Cléopatre… Ça marque !

A : Est-ce qu’Astérix en breton répondait à une demande et à une attente locales ?
HP : pour le créole, absolument pas. Quand j’ai annoncé ce travail en Martinique au cours d’un colloque sur le créole, je me suis fait huer, seul l’écrivain Raphaël Confiant a compris nos clins d’œil, s’est chargé alors de nous défendre et d’expliquer à un public d’intellectuels qu’au contraire c’était une sacré publicité pour les langues créoles de faire parler les Gaulois et les Romains en créole.
DK : Deux albums avaient été traduits une trentaine d’années auparavant, et étaient devenus absolument introuvables. On peut ajouter qu’Astérix en breton est un juste retour des choses. Quand on examine les cartes dans les albums, on s’aperçoit qu’Astérix habite dans ce qui est de nos jours la Bretagne, et que la langue gauloise était une langue celtique, tout comme le breton l’est aussi.

A : Quels sont les problèmes ou contraintes que l’on rencontre lorsqu’on traduit Astérix ?
HP : La première c’est de respecter un cahier des charges très strict qui sera contrôlé à la fin du travail par une société d’audit. D’abord il  ne faut pas que les dialogues dans la langue cible soient plus longs que ceux de la langue d’origine car les bulles sont des contenants pré-dimensionnés.
Il ne faut introduire aucune allusion politique, idéologique, ou morale qui ne soit dans le texte de départ. Enfin, seuls les deux héros de départ gardent leur nom : Astérix et Obélix, il faut inventer des noms pour tous les autres personnages en n’utilisant que des noms se terminant en ix sans pour autant prendre de noms de personnes connues pour servir de radical à la terminaison.
DK : Le plus difficile est probablement de rendre le parler des étrangers parlant breton. Il n’y a pas vraiment de tradition sur la façon caricaturale qu’aurait un Goth (un Allemand en fait) ou un Breton (un Anglais dans les faits) de parler breton… Cela est vrai aussi dans le cas du langage attribué aux enfants, ou à une personne enrhumée (mettre des b au lieu des m)… Dans tous ces cas-là il faut également faire attention au niveau du lecteur breton, souvent des apprenants ou des gens qui n’ont pas l’habitude de le lire, qui pourrait par exemple ne pas saisir que tel ou tel mot a été déformé.
Autrement, il y a bien entendu tous les jeux de mots français qui parsèment les aventures d’Astérix… et il faut bien se pencher sur les expressions emblématiques qui sont passées dans le langage courant: “Ils sont fous ces Romains”, “Tombé dedans quand il était petit”…

A : Comment avez-vous travaillé pour rendre l’humour d’Astérix ?
HP : nous avons travaillé par téléphone et par mail, validant ou invalidant chaque traduction pour chaque bulle. Un exemple : le traître Acidenitrix est un avorton, nous l’avons appelé Titirix (titiri en créole est un alevin et par extension un minus) s’adressant à Ségrégasionnix ( que nous avons appelé Vonvonnix, le vonvon en créole est un faux bourdon) dit :  » Ne brusquons pas les choses Ségrégasionnix, patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » ce qui devient en créole : Annou pa bwè soup an-nou cho,Vovonnix, pisimyé pwan tan é pasyans olyé lévé gawoulé ( littéralement : ne buvons pas notre soupe chaude, il est préférable de prendre temps et patience plutôt que chercher la bagarre) mais ce n’est qu’un exemple entre autres, le plus difficile a été de faire parler les romains un pidgin de créole qui ressemble fort à celui que parlent les coopérants métropolitains aux Antilles.
DK : Pour les noms des personnages, le suffixe diminutif breton -ig, très courant, permet de trouver des tas de noms qui deviendront -iks (la lettre “x” n’est pas utilisée en breton). Pour les noms romains en -us c’est un petit peu plus difficile, mais pas insurmontable.
Pour les bagarres, les chamailleries et les onomatopées, pas de problème! Pour les nombreux jeux de mots — et certains sont particulièrement redoutables pour un traducteur comme “J’ai une aversion latine” — on s’adapte ! L’essentiel est que cela paraisse naturel pour le lecteur, et “pas tiré par les cheveux”. Ainsi dans une sorte de bataille entre le printemps et l’hiver il y avait “Je vais te montrer de quel bois je me chauffe”, “Je vais te refroidir”… il faut trouver des expressions idiomatiques équivalentes comme Me ’zo ’vont da dommañ da lêr (littéralement : Je vais te chauffer le cuir) et Me ’zo ’vont da reiñ ur freskad dit (ce qui veut dire : je vais te donner une volée de coups, mais qui, littéralement , c’est : donner un coup de fraîcheur)…
Et parfois il arrive même qu’un jeu de mots s’impose en breton alors qu’il n’y avait rien en français !

Crayonné réalisé par Albert Uderzo pour la promotion du film Astérix et Obélix contre César
Crayonné réalisé par Albert Uderzo pour la promotion du film Astérix et Obélix contre César
Collection Albert Uderzo © 2013 Les Éditions Albert René/Goscinny – Uderzo

A : Le premier Astérix est paru en 1959. Quel regard portez-vous sur l’œuvre de Goscinny et d’Uderzo ?
HP : Le dernier Astérix vient de sortir et cette fois sans les pères fondateurs. Goscinny et Uderzo ont au fil des années, participé à l’identité française, il ont sculpté une image de la France, non pas d’une France franchouillarde et frileuse, mais d’un petit peuple (à l’échelon des mastodontes Américains ou Chinois), inventif, courageux, qui a plus d’une boisson magique dans son sac, et qui trouve toujours le moment des retrouvailles autour d’un feu, pour un repas de charcuterie arrosé de bon vin.
DK : Comme je l’ai dit précédemment, je suis de la “génération Astérix”. Né en 1957, je suis “tombé dedans quand j’étais petit”, et c’est à l’âge de 20 ans, en 1977, que j’apprends la disparition de René Goscinny. J’ai grandi en lisant des magazines comme Spirou et Pilote où sévissaient l’humour incomparable de Goscinny et le trait diablement efficace d’Uderzo. J’ai suivi l’évolution des personnages depuis cette époque, mais les bases qui ont fait le succès de la série existaient dès le départ.

Exposition Astérix à la BnF !, jusqu’au 19 janvier 2014.
http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_expositions/f.asterix.html