On a souvent mis en scène le polyglottisme des papes les plus récents, au premier rang desquels Jean-Paul II. Mais on s’intéresse peu aux langues parlées au Vatican. Premier volet de notre série consacrée aux langues du plus petit Etat du monde.

Aux sources de la mythologie judéo-chrétienne, et dans la tradition catholique, le multilinguisme est perçu comme une malédiction et une punition divine : telle est l’histoire de la Tour de Babel dans la Genèse (11: 1-9). Les hommes, qui ne parlaient qu’une seule langue, celle de Dieu, s’installent dans une plaine en Mésopotamie et entreprennent de construire une ville et une tour dont le sommet toucherait le ciel. Pour les punir, Dieu brouille leur langue afin d’empêcher cette construction et les disperse. De là sont nées toutes les langues du monde, conséquence directe du châtiment divin et du péché d’orgueil.
Il est assez ironique de constater que le Vatican est une Tour de Babel moderne car, si on l’envisage comme un Etat comme les autres, c’est sans doute l’Etat dans lequel la diversité linguistique est la plus élevée en Europe (avec le Luxembourg).

L’Etat du Vatican : un état comme un autre?

Le Vatican est le plus petit état indépendant du monde par son nombre d’habitants et par sa superficie. Il compte environ 921 habitants : 40 % d’Italiens et 60 % de non-Italiens. Cela donne ainsi 368 habitants de langue maternelle italienne et 553 de langue maternelle autre. Au Vatican, il existe deux groupes de citoyens : le clergé, dont la plupart des membres travaille au service du Saint-Siège et un petit nombre de fonctionnaires de l’État qui inclut aussi les gardes suisses. Les habitants du Vatican ne sont pas de « nationalité vaticane» car cette dernière n’existe pas. En revanche, un statut temporaire de citoyenneté est distribué par le souverain pontife. L’Etat se présente sous forme d’une monarchie absolue et le Pape a le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire.

Création de l’Etat

L’Etat de la Cité du Vatican a été créé avec les accords du Latran du 11 février 1929 entre le Saint-Siège et le président du conseil des ministres italien de l’époque, Benito Mussolini.
Ainsi, suite à ces accords, lorsqu’on parle de Saint-Siège on entend par là une entité distincte de l’Etat du Vatican. Du point de vue du droit international, le Saint-Siège exerce un pouvoir de souveraineté sur l’Etat du Vatican qui, lui, a le statut d’Etat patrimonial c’est-à-dire un état dans lequel il n’y a pas de différence entre le patrimoine du souverain (et donc du Pape) et celui de l’Etat, de même que les pouvoirs publics sont englobés dans le patrimoine du souverain. Attribuer à l’Etat du Vatican le statut d’Etat patrimonial consiste à donner au Saint-Siège indépendance et liberté dans sa fonction de mission. Par conséquent, la souveraineté de l’Etat du Vatican est limitée. C’est pour cette raison que les ambassades étrangères sont accréditées auprès du Saint-Siège et non pas auprès de l’Etat du Vatican, car il ne jouit pas pleinement de la souveraineté internationale.

L’Etat du Vatican a 5 entrées principales et tous les jours des milliers de personnes y entrent pour y travailler. On peut y trouver une banque propre au Vatican, des postes avec des timbres spécifiques. Une maison d’édition est présente aussi à l’intérieur de l’Etat : Libreria Editrice Vaticana (L.E.V) qui est présente depuis 1587 grâce au Pape Sixte V, et aussi une cinémathèque Vaticane, Filmoteca Vaticana, qui a été institué en 1959 par le Pape Jean XXIII dans le but de recueillir et conserver des vidéos sur la vie de l’Eglise.

Les fêtes

Il existe une fête nationale qui se déroule le 11 février qui rappelle donc la date de création de l’Etat suite aux accords du Latran. La deuxième fête n’a pas de date fixe. En effet, cette dernière dépend de la messe d’inauguration du Pape. En ce moment la fête se tient le 13 mars (François a été élu le 13 mars 2013).

La bibliothèque apostolique vaticane

Une des bibliothèques les plus anciennes du monde. Sous l’Etat est présent un bunker avec des archives privées qui illustrent les activités pastorales et politiques de l’Eglise dans ces derniers siècles. On y trouve 43 km d’étagères qui soutiennent tous les manuscrits et les livres. Tous les ans environ 1500 chercheurs de 60 nationalités différentes y ont accès. Ces archives et la bibliothèque ont été crée par le pape Nicolas V vers 1450 pour conserver et donner une culture complète à ses successeurs.

Quelle est la politique linguistique de l’Etat du Vatican ?

La « non officialité » de l’italien

Contrairement à la majorité des états du monde, l’Etat du Vatican n’a pas de langue officielle : aucun texte juridique, aucune loi ne fixe la ou les langues officielles. Selon le directeur du journal du Vatican L’Osservatore Romano Giovanni Maria Vian, « cela est normal. L’Etat du Vatican a une base territoriale en Italie qui est symbolique même si elle est réelle. Le mot catholique dérive du grec qui signifie ‘universel’, donc une seule langue ne peut pas exprimer le concept d’universalité de la religion catholique ». Pour cette raison une seule langue sur les textes juridiques ne peut être choisie. Mais comme dit M. Vian la base territoriale en Italie est réelle, ce qui fait que du point de vue administratif, tous les textes officiels sont rédigés et diffusés en italien car le Vatican ne possède pas de services publics et doit donc utiliser ceux de l’Etat italien. Toutes les personnes qui travaillent au Vatican parlent ainsi diverses langues : les langues modernes les plus diffusées (français, anglais, espagnol, allemand, portugais) mais aussi l’italien, qui reste la langue véhiculaire la plus courante, tout simplement parce que le Vatican est situé à Rome.

Le latin du Saint-Siège

Comme le latin est la langue de l’Eglise catholique, il est utilisé comme langue officielle du Saint-Siège. Selon le journaliste Hervé Yannou, ancien correspondant du Figaro au Vatican, « le choix du latin est dû au fait qu’il s’agit d’une langue neutre ». Les textes officiels (actes pontificaux, lettres apostoliques, etc.) sont écrits en latin mais ensuite traduits en différentes langues nationales. L’administration du Saint-Siège est confiée à la Curie romaine (le gouvernement de l’Église), qui fonctionne en italien. Toutefois, il peut arriver d’avoir recours au latin, lorsque l’italien est ignoré. Mais il s’agit de documents provisoires qui seront ensuite traduits en italien.

Les gardes suisses

L’Etat du Vatican dispose de 110 gardes suisses qui en assurent la sécurité. Pour la plupart d’entre eux, il s’agit de gardes originaires de la Suisse alémanique (quelques-uns viennent de Suisse Romande et, de fait, maîtrisent aussi le français). Cela signifie qu’ils parlent majoritairement le Schwytzerdütsch c’est-à-dire le dialecte suisse-allemand. Ils doivent prendre des cours d’italien (souvent assurés par l’Etat) car ils communiquent avec les policiers italiens de la place Saint-Pierre. Les ordres sont donnés en suisse-allemand. Ces 110 gardes sont devenus maintenant une sorte de mascotte de l’Etat surtout grâce à leur uniforme très particulier et très anachronique.
En dehors des gardes, la plupart du personnel est d’origine suisse-allemande, y compris les religieuses qui préparent les repas de la cantine, ainsi que l’aumônier. Le suisse-allemand occupe donc une position non négligeable à l’intérieur de l’Etat.

La langue de la diplomatie

Le français occupe traditionnellement aussi une position importante au Vatican, conservant le privilège de langue officielle dans les communications avec les organismes internationaux tels que l’ONU, l’UNESCO, la FAO etc. En effet, le Saint-Siège a toujours un observateur permanent dans les institutions qui, officiellement, devrait s’exprimer en français étant donné que le Saint-Siège est enregistré comme état francophone auprès des organisations. Mais les dernières années, « le français occupe une position de moins en moins importante, et souvent les représentants font recours à l’anglais à l’étranger ». Les discours officiels des observateurs permanents du Saint-Siège sont prononcés principalement en français mais, au niveau du Pape cela dépend évidemment de son niveau de langue en français. En l’occurrence, François est bien plus à l’aise en espagnol et en italien.

La presse et les médias

1. Le journal quotidien

L’Osservatore Romano (soit «L’Observateur romain») est un journal politico-religieux publié pour la première fois le 1er juillet 1861. L’équipe est constitué de 40 journalistes de 4 continents différents et de 13 pays différents et de 20 employés. L’Osservatore Romano est publié l’après-midi car il est nécessaire de recueillir les discours et la chronique du Pape qui se tiennent le matin. Il a toujours été diffusé en italien, mais les éditions hebdomadaires sont publiées en français (depuis 1949), en anglais (depuis 1968), en espagnol (depuis 1969), en portugais (depuis 1970), en allemand (depuis 1971) et en malayalam (langue parlée en Inde). Il y a aussi une édition mensuelle en polonais qui est diffusée depuis 1980. Les éditions sont toutes imprimées à l’intérieur du Vatican à part les éditions en allemand et en malayalam qui sont imprimées respectivement en Allemagne et en Inde.
Giovanni Maria Vian, le directeur du quotidien, explique ainsi le choix des langues. : « nous avons choisi de traduire le journal dans les langues des pays où le catholicisme est important. En ce qui concerne le malayalam, il s’agit d’une demande de la part des Indiens catholiques, car le journal est très populaire en Inde du sud ».

2. Le bureau de presse

Le Bureau de presse du Saint-Siège publie chaque jour des informations et des documents officiels du Saint-Siège auprès d’environ 200 journalistes italiens et étrangers accrédités. La langue de base est l’italien, mais des services sont offerts en anglais, en espagnol et en français. Le bureau est désormais dirigé par un directeur anglophone et une vice-directrice hispanophone, ce qui trahit la volonté de sortir du tout italien et d’utiliser au maximum les deux grandes langues mondiales.

3. La radio

Radio-Vaticana émet en différentes langues du monde. Par exemple, la première chaîne de « Radio-Vatican » diffuse ses émissions régulières en italien, en anglais et en français. La deuxième chaîne diffuse ses programmes en portugais, en espagnol et en allemand. Au total, « Radio-Vatican » diffuse dans plus de 35 langues à travers le monde : slovène, arabe, espéranto, arménien, russe, ukrainien, biélorusse, lituanien, letton, albanais, bulgare, roumain croate, tchèque, slovaque, polonais, hongrois. Pour les zones Asie et Afrique : hindi, tamoul, malayalam, swahili, amharique, français, anglais, portugais, espagnol, chinois, japonais, vietnamien et somali.

4. La télévision

Le Centro Televisivo Vaticano (soit Centre de télévision du Vatican – CTV) a été fondé en 1983. La chaîne est disponible via le satellite dans presque tous les pays du monde dans différentes langues : italien, anglais, espagnol, portugais etc.

5. Internet

Deux sites sont présents : le site web du Vatican et celui du Saint-Siège. Celui du Vatican est disponible dans les 5 langues européennes majeures : italien, anglais, français, allemand et espagnol. Les mêmes langues sont utilisées sur le site du Saint-Siège mais avec l’ajout du portugais, arabe, chinois et enfin en latin.

6. Les réseaux sociaux

Tous les moyens de communication cités comme la radio, le journal, la télévision ont des pages sur les réseaux sociaux dans différentes langues. La page de Radio Vaticana est en particulier très populaire sur Facebook et est présente en différentes langues comme l’espagnol (avec 63 000 j’aime), en anglais (avec 1 275 000 j’aime), en français, portugais etc.

Le compte Twitter Vatican Communication (@SPC_VA) est suivi par 146 000 abonnés. La communication sur ce compte est multilingue : l’italien et l’anglais évidemment, mais aussi le français et l’espagnol.

Le pape possède 8 comptes Twitter, chacun dans sa langue :
– Un compte en latin (762 000 abonnés) @Pontifex_ln
– Un compte en italien (4,3 millions d’abonnés) @Pontifex_it
– Un compte en espagnol (12,5 millions d’abonnés) @Pontifex_es
– Un compte en portugais (12,6 millions d’abonnés) @Pontifex_pt
– Un compte en anglais (10,5 millions d’abonnés) @Pontifex
– Un compte en allemand (425 000 abonnés) @Pontifex_de
– Un compte en polonais (783 000 abonnés) @Pontifex_pl
– Un compte en arabe (359 000 abonnés) @Pontifex_ar
– Un compte en français (744 000 abonnés) @Pontifex_fr

Il est intéressant de noter que ces comptes sont alimentés de façon simultanée à un rythme quasi identique (les différents comptes Twitter montrent à peu près le même nombre de tweets), et François tweete à peu près la même chose dans toutes les langues. Par ailleurs le Pape ne suit personne sur Twitter, si ce n’est lui-même : chaque compte Twitter dédié suit les 7 autres dans les autres langues. Enfin, on peut affirmer sans ironie que sur Twitter, le Pape est iconoclaste : on ne trouve aucune image ou vidéo (même pas un Lolcat en GIF) dans ses tweets, seulement du texte. Ce qui est différent de ses comptes Facebook où l’image est beaucoup plus présente.
Si on s’intéresse ensuite aux langues des comptes Twitter, on peut remarquer qu’en dehors des grandes langues habituelles, le polonais occupe une place à part, à la fois symbolique et diplomatique (selon différentes études, la population se dit catholique à plus de 90%) et les langues asiatiques brillent par leur absence (malgré 10 à 12 millions de fidèles et sa présence sur le site du Saint-Siège, pas de compte en mandarin), sans parler des langues africaines (même si le français, l’anglais et le portugais sont largement parlés ou au moins compris dans de nombreux pays).

« Parler à Dieu dans sa propre langue »

La politique linguistique de l’Etat du Vatican semble être de facto celle d’un multilinguisme de communication. On peut dire qu’il s’agit d’un état plurilingue qui souhaite communiquer avec les catholiques du monde entier. Mais il est fort à parier qu’au vu du recul vertigineux des catholiques dans les pays riches (depuis une dizaine d’années, la perte de catholiques en Allemagne, par exemple, est de 100 000 tous les ans, sans parler de l’Irlande ou de l’Italie), le Vatican va devoir développer considérablement cette politique multilingue et regarder davantage vers l’Afrique et l’Asie et, ainsi, ajouter de nouvelles langues à sa palette. C’est sans doute dans ce sens qu’il convient d’analyser la visite du Pape aux Indiens Chiapas du Mexique (un pays où le catholicisme recule aussi) le 15 février 2016, et le décret leur permettant d’utiliser les langues tzotil, tzeltal et ch’ol dans la liturgie. François disait répondre ainsi à la volonté des natifs « de pouvoir écouter Dieu et lui parler dans leur propre langue ». Une déclaration qui ressemble fort à un programme pour l’avenir.

Sara Jaber