Entretien avec Karine Adjadji, adaptatrice de sous-titres pour des séries, films et documentaires et tombée dans le bain des langues toute petite. Au quotidien, elle traduit de l’anglais ou du polonais vers le français.
Assimil. Comment êtes-vous tombée dans le bain des langues étrangères ?
Karine Adjadji. Je suis née dans une famille bilingue. Ma mère est polonaise et mon père français, ce qui fait que dès la naissance, deux langues cohabitaient à la maison. Cela a ouvert des cases dans mon cerveau qui m’ont prédisposée à l’étude des langues.
À 3 ans déjà, je servais d’interprète entre ma famille polonaise et ma famille française. La traduction est entrée dans ma vie comme un jeu et je suis vite devenue accro.
La deuxième grande étape, c’était à 8 ans. J’ai eu la varicelle et j’ai eu le droit de rester devant la télé durant toute une semaine. C’était la naissance de Canal+ à l’époque et j’ai eu l’occasion de découvrir les films sous-titrés et l’anglais. Je me suis dit que c’était un univers vraiment intéressant.
Au collège, j’ai véritablement commencé à apprendre l’anglais et l’allemand et à nouveau, j’ai trouvé que le monde des langues étrangères avait quelque chose de merveilleux.
À partir du lycée, j’enregistrais presque tous les jours des films sous-titrés sur Canal et je les regardais le lendemain pendant ma pause déjeuner. C’était une passion et comme tous les passionnés, j’étais un peu monomaniaque.
J’ai bien sûr effectué quelques voyages, notamment en Angleterre, mais je n’ai jamais vraiment vécu à l’étranger avant de me lancer dans la traduction. Ce sont surtout les livres, la télévision et les chansons de feu Prince qui m’ont appris l’anglais.
Quelle est votre formation ?
KA. Après le bac, j’ai fait des études d’anglais (licence Arts-Lettres-Langues, mention Langues, Littératures et Civilisations Étrangères et Régionales) que j’ai terminées par un master de traduction audiovisuelle. À la fin de celui-ci, j’ai effectué pendant 6 mois un stage de traduction rémunéré au sein du laboratoire de postproduction, Télétota. On m’a tout de suite donné l’opportunité de faire du sous-titrage. Une excellente expérience.
Au terme de mon master, j’ai commencé à travailler en tant que freelance. J’ai continué à travailler avec le même laboratoire et en ai ajouté d’autre part la suite comme Dubbing Brothers, Nice Fellow, Monal Group, Titra Film, Imagine ou encore Médiadub. Cela m’a permis de diversifier à la fois mes expériences professionnelles et mes sources de revenus.
Il s’agit du parcours le plus commun à l’heure actuelle. Les masters existent depuis les années 90. Avant, les professionnels évoluant dans cette fonction étaient journalistes, professeurs de langues ou encore écrivains et effectuaient du sous-titrage en plus de leur activité principale. À partir du moment où des formations spécifiques ont été créées, c’est devenu un métier à part entière. En définitive, il s’agit d’une profession relativement récente, même si le sous-titrage existe depuis 80 ans environ. Aujourd’hui, on dénombre entre 600 et 800 sous-titreurs en France, avec une grande majorité de femmes, j’ignore d’ailleurs pourquoi !
Abordons à présent votre métier plus en détail. Tout d’abord, quelle est l’appellation officielle de votre métier ? Sous-titreur, sous-titreuse ? Quel terme faut-il employer ?
Légalement, le titre pompeux utilisé est « Créateur d’œuvre de l’esprit ». Entre pairs, nous employons plus le titre d’« adaptateur de sous-titrage ».
Nous avons le statut d’auteur. Nous sommes payés en notes de droits d’auteur et touchons ensuite des droits de diffusion. Nous sommes inscrits à la SACEM pour les œuvres de fiction et à la SCAM pour les documentaires.
Pour quels types de supports créez-vous des sous-titres et dans quelles langues ?
Karine Adjadji. J’ai touché à tout. J’ai eu la chance de commencer par des séries.
Ensuite, il y a eu l’explosion de la téléréalité et j’ai travaillé sur des programmes comme The Bachelor, L’île de la tentation ou encore Popstar. Pour ce type de programme, j’ai surtout travaillé en « voice over ».
J’ai également travaillé sur des documentaires politiques, historiques, animaliers et sur le thème du voyage… En somme, beaucoup de choses différentes. À présent je travaille essentiellement sur des séries et des films. J’ai notamment sous-titré The Catch, American Crime, Murder, The Beast, Switched ou Grey’s Anatomy.
Pour ce qui est des langues, je traduis en français des supports anglais ou polonais. On traduit toujours vers sa langue maternelle. Je ne fais jamais de thème, toujours de la version.
Combien de temps faut-il pour créer des sous-titres pour un épisode de série ?
Dans l’idéal, cela nécessite une semaine, à partir de la livraison de la vidéo (avec un son que l’on espère toujours correct !) et du script.
Il faut une journée pour visionner le programme et effectuer le « repérage » à l’aide d’un logiciel. En pratique, cela veut dire découper la vidéo et décider à quel moment commenceront et finiront les sous-titres (ST) tout au long de l’épisode. Je tiens compte pour cela du début et de la fin des phrases, mais aussi des changements de plan. On évite qu’un sous-titre chevauche un changement de plan parce que cela est très difficile à suivre pour l’œil humain. À cause de la persistance rétinienne, on a l’impression que le ST apparaît deux fois.
Auparavant, cette tâche était effectuée par des « repéreurs » au sein des laboratoires de sous-titrage. C’est l’avènement du numérique (les logiciels existaient déjà), il y a une dizaine d’années, qui a fait que l’on peut faire tout cela chez nous maintenant. La plupart des professionnels sont équipés de logiciels de sous-titrage.
Il y a ensuite 3 jours de traduction pure. Le cinquième jour est consacré à la relecture et à la pré-simulation. Je visionne l’épisode en essayant de prendre du recul sur mon travail.
À cela s’ajoute une journée supplémentaire au cours de laquelle un autre adaptateur corrige mon travail. On appelle cela la « simulation ». J’effectue également ce travail pour d’autres adaptateurs. Il y a enfin une relecture papier effectuée par le laboratoire, puis par la chaîne diffusant le programme.
Quelles sont les difficultés rencontrées lors de la traduction ?
La première difficulté concerne le genre du programme. Qu’il s’agisse d’une série policière, juridique, fantastique, traitant de la science-fiction ou d’une série qui prendrait place au XVIIIe siècle, il faut commencer par s’imprégner de l’univers. Dès que l’on me communique le sujet de la série, j’effectue des recherches. Je lis des livres parlant de l’époque concernée ou appartenant au même thème. Avant de traduire un film en costumes par exemple, je n’hésite pas à relire une pièce de Molière. Idem, je lis des polars lorsque je sais que je vais sous-titrer une série policière. Des collègues travaillant sur Game of Thrones ont par exemple lu ou relu tous les livres de Georges R. R. Martin.
Il existe aussi des formations [thématiques] pour les auteurs. Ma prochaine formation aura pour thème « Appréhender l’univers du polar » et sera animée par un commissaire qui va nous parler pendant trois jours de l’univers policier.
Pour ce qui est du sous-titrage à proprement parler, il y a un certain nombre de contraintes à respecter. Les sous-titres doivent tenir sur deux lignes. Pour la télé, nous sommes limités à 36-37 caractères, contre 40 pour le cinéma. Comme l’œil lit deux à trois fois moins vite que l’oreille n’entend (la lisibilité est de 12 à 15 caractères par seconde, ce qui est très peu), nous devons résumer l’idée principale. Nous ne traduisons donc pas mot à mot, mais nous nous focalisons sur le sens des phrases. Il faut que nous arrivions à intégrer toutes les informations nécessaires à la compréhension de la phrase, du dialogue et du contexte. C’est pour cela qu’il y a de nombreuses personnes que l’on entend dire « Mais ce n’est du tout ce qu’ils disent ! » ou « Il n’a pas du tout dit ce mot-là ! ». Nous sommes vraiment obligés de résumer ce que les personnages disent afin que le spectateur puisse suivre sans perdre le sens et aussi profiter de l’image ! Parfois quand nous traduisons une série juridique, il arrive que nous n’ayons qu’une seconde et demie pour expliquer un concept de loi !
De plus, depuis quelques années, les acteurs, des séries américaines notamment, parlent de plus en plus vite. Et les montages sont accélérés, ce qui complique encore notre métier. Pour les films, les derniers James Bond sont de bons exemples.
(Bon et bien maintenant que j’ai compris pourquoi les sous-titres ne correspondaient pas toujours aux paroles, je ne ferais plus de critiques !)
Y a-t-il des mises à jour dans les sous-titres ou le texte demeure figé ?
A priori non, les textes ne sont pas réédités lorsque le travail a été bien fait. Mais l’erreur est humaine.
Quand vous regardez des séries que vous n’avez pas sous-titrées, vous dites-vous « je l’aurais fait différemment ? »
Oui bien sûr, il y a autant d’adaptations que de sous-titreurs. Mais cela ne veut pas dire qu’une traduction est mauvaise si elle est différente de celle que j’aurais proposée. Évidemment, certaines choses sont toujours traduites de la même façon. « Brian is in the kitchen » sera toujours « Brian est dans la cuisine » !
Pour finir, que pensez-vous des « subbers » / « fansubbers » (N.D.L.R. : les personnes qui traduisent les épisodes des séries TV dès qu’ils sortent à titre gratuit et sans forcément être des professionnels aguerris) et de la qualité de leur travail ?
Karine Adjadji. Pour le grand public, les fansubbers sont des « Robins des bois » du sous-titrage, mais ils ne contribuent pas à la mise en valeur de notre métier et le travail qu’ils effectuent est illégal.
Ils traduisent les épisodes dès qu’ils sortent, généralement en une nuit et à plusieurs, ce qui nuit à la cohérence sur un épisode.
Ils traduisent souvent les dialogues de manière littérale, ne sont pas cohérents sur les tutoiements et vouvoiements. Il arrive qu’en début d’épisode, des personnages se tutoient pour finir par se vouvoyer à la fin. Les sous-titres sont également souvent truffés d’imprécisions, de contresens, d’anglicismes et de fautes de français. Cela dessert finalement les œuvres, leurs auteurs, mais aussi les spectateurs qui pensent suivre les dialogues, mais passent complètement à côté de la richesse et de la complexité du programme parce qu’ils lisent du mot à mot.
De nombreuses personnes de mon entourage regardent des séries avec ce type de sous-titres et ils me disent qu’ils savent que c’est mal fait, mais qu’ils préfèrent avoir la série en exclusivité plutôt que d’attendre une semaine qu’elle passe sur Canal+. C’est un peu désespérant. C’est un nivellement par le bas. Les Français vont encore être plus mauvais en langue avec ça.
Les fansubbers habituent les gens à une qualité de sous-titrage médiocre et cela n’incite pas les chaînes de télévision et les éditeurs de DVD à investir plus sérieusement dans la diffusion de séries puisque cette phase de la vie d’une œuvre est totalement dépréciée.
La traduction arrive en bout de chaîne et comme les clients (chaînes ou distributeurs) voient qu’une grande partie des gens ont déjà téléchargé et regardé des épisodes avec des fansubs, le budget qui nous est alloué est amoindri. Depuis quelques années, nous sommes encore moins bien payés.
Ce phénomène fait partie d’un contexte global de remise en cause de la propriété intellectuelle qui englobe le piratage musical, l’explosion de la presse gratuite, ou encore les grands groupes industriels qui prennent le contrôle de l’édition. Nos métiers sont de plus en plus précaires et on ne respecte plus les œuvres originales. L’enjeu aujourd’hui, c’est la défense du statut d’auteur et la lutte contre la marchandisation des œuvres culturelles aux dépens de la qualité. Nous sommes dans l’ère du tout gratuit, du tout vite, du tout mal fait alors que ce sont tout de même dans des métiers artistiques. Or, pour faire de l’art, et obtenir un travail de qualité, il faut du temps…
J’ai un exemple concret des répercussions de l’activité des fansubbers. Actuellement, je traduis des séries qui sont diffusées 24 heures après la première diffusion américaine. Les distributeurs ont tellement peur des personnes qui téléchargent leurs programmes et du piratage qu’ils ne veulent plus sortir les vidéos des États-Unis avant la première diffusion américaine. Par conséquent, ils commandent une traduction réalisée à la va-vite aux États-Unis par des personnes sous-payées et ce sont ces sous-titres-là qui arrivent sur la chaîne en H+24. (Ce n’est pas le cas de tous les clients). Les séries, quand elles sont diffusées 24 heures après, sont diffusées en VOST, c’est-à-dire que les sous-titres sont incrustés à l’image et qu’il n’y a pas d’alternative. C’est forcément en anglais sous-titré en français.
Notre travail d’adaptation intervient quelque temps plus tard et nous traduisons pour la VM (version multilingue), une option qui permet au spectateur de choisir entre le doublage et les différents sous-titres avec sa télécommande. En ce moment, je traduis uniquement pour la VM, pas pour la VOST. Et tout cela car les distributeurs refusent de sortir les vidéos du territoire à cause des personnes qui piratent leurs vidéos.
Le métier a donc directement pâti du développement des fansubs. Les vrais fans téléchargent et regardent la série avec les sous-titres des fansubbers, les autres vont regarder la vidéo 24 heures après sa sortie mais elle n’offrira pas non plus une traduction de qualité et les derniers vont regarder l’épisode en français. Finalement, nos sous-titres sont regardés par un public restreint. C’est un peu frustrant, nous avons l’impression de travailler pour une poignée de personnes ou juste pour les éditions DVD.
Le mot de la fin ?
Un article Slate dont je vous conseille la lecture : Les doubleurs vont-ils devoir prendre leur retraite ?
Assimil vous accompagne…
Découvrez les méthodes sans peine pour l’apprentissage du polonais et de l’anglais.
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