Deuxième partie de notre entretien-fleuve avec Tony Bulger (lire la première partie). Dans la dernière partie de ce diptyque, Tony Bulger évoque les néologismes en vogue, l’anglais de la classe politique britannique, et certains de ses écrivains préférés, Orwell et Burgess.
Quels sont les nouveaux mots et expressions dignes d’intérêt en anglais britannique ?
Il y en a des centaines, voire des milliers ! Tous les ans, des institutions prestigieuses comme la BBC, ou les éditeurs de dictionnaires, tels Oxford ou Collins, publient des listes de « mots de l’année ». Il s’agit d’un exercice sérieux car même si beaucoup de ces néologismes tombent vite dans l’oubli, d’autres s’installent de façon plus ou moins pérenne dans le langage courant – et certains traversent même les barrières érigés aux frontières de la France par l’Académie : par exemple, locavore (« une personne qui ne consomme de la nourriture produite proche de son domicile », mot de l’année aux États-Unis en 2007, ajouté comme adjectif au Larousse en 2010), flash mob (le terme « officiel en français est foule éclaire, mais, en pratique, le flash-mob s’est bien installé chez nous…) ou encore selfie.
Plus fantaisistes, citons en vrac bridechilla (une femme qui planifie son mariage sans stresser – elle sera une mariée (bride) tout en restant cool (chill)), ou manspreading (le fait pour un homme s’asseoir, par exemple dans le métro, en écartant les jambes afin d’empêcher un voisin de s’installer à côté de lui)) ou encore narcisstick (terme péjoratif pour un bâton de…selfie). Dans beaucoup de cas, ce mots sont inventés pour décrire de nouveaux objets ou phénomènes. Mais ce qui m’impressionne le plus, c’est la créativité – et l’humour – des néologiseurs ! (Cela dit, le français n’est pas en reste – avec zlataner, altermondialisme, liseuse, zénitude. Voilà pourquoi on parle de langues vivantes !)
Est-ce que les personnalités politiques britanniques massacrent la langue anglaise comme la classe politique française massacre la française ?
En tant que gentleman, je ne jetterai l’opprobre sur personne, même ceux qui font preuve de bravitude…
En fait, le problème est un peu différent. Beaucoup d’hommes et de femmes politiques anglais (plutôt que britanniques) pensent que, pour être pris au sérieux, on doit employer un registre de langue élevé, caractérisé par des mots d’origine latine ou grecque ou encore par le jargon. Donc le discours politique est souvent truffé de phrases opaques, dénuées de sens précis. Par exemple, « We want to own the the strategic roadmap in order to deliver actionable insight for interfacing with communities » (comprenez « Nous essayerons de parler au peuple »). Mon écrivain politique préféré, George Orwell, disait « Political language is designed to make lies sound truthful and murder respectable, and to give an appearance of solidity to pure wind (Le langage politique est conçu pour rendre le mensonge vraisemblable, le meurtre respectable et pour donner une apparence de solidité au vent).
Heureusement, il existe une association, le Plain English Campaign, qui mène une campagne – parfois désopilante – de vigilance active contre le charabia, en décernant ses prix Golden Bull (je vous laisserai le soin de vérifier ce jeu de mots…) aux pires excès langagiers, par exemple un magasin qui cherche à recruter un ambient replenishment assistant plutôt qu’un shelf stocker. (gondolier). Si seulement on pouvait créer une branche française !
Parlons un peu d’Anthony Burgess (dont les nom et prénom sont assez proches des tiens soit dit en passant) qui est un de tes écrivains préférés. Tout le monde le connaît comme l’auteur de L’Orange mécanique, mais peu connaissent son goût pour la linguistique et le langage. Il a d’ailleurs créé la langue du film la Guerre Du Feu. Qu’est-ce que la lecture de l’œuvre de Burgess t’a appris sur le langage ?
J’ai cité Orwell tout à l’heure, et maintenant tu me parles d’un de mes autres auteurs préférés ! Burgess était un esprit universel : auteur, journaliste, compositeur (encore un exemple de lien entre la musique et le langage), traducteur (de Cyrano de Bergerac, Carmen, entre autres) commentateur – j’en passe, et des meilleurs. Il était fasciné par les langues : par exemple, en plus de l’Ulam, cette langue préhistorique créée pour le film d’Annaud, il a inventé un argot « russo-anglais » pour L’Orange mécanique. Ses deux livres de vulgarisation de linguistique générale – Language Made Plain et A Mouthful of Air (je ne pense pas qu’ils soient traduits en français) – sont des bijoux d’intelligence.
Mais c’est surtout son sens de l’observation quotidienne du langage qui me fascine. Par exemple, il compare le mode d’emploi figurant sur un paquet de céréale acheté à Monaco (et donc écrit en anglais et en français). Le texte anglais est sobre et descriptif : Ready to eat whole-wheat breakfast cereal. Simply add cold or hot milk and sugar to taste (céréale pour le petit déjeuner composée de blé complet et prêt à manger. Ajouter simplement du lait froid ou chaud et du sucre, au goût). Mais, en français, cela donne Céréale pour le petit déjeuner composée de blé complet, nourrissante et prête à déguster. Il suffit d’ajouter du lait froid ou chaud et du sucre a volonté, et voilà en réserve le plus gros de l’énergie indispensable a une matinée bien remplie.’ Selon Burgess, le texte français ramène un simple petit déj’ à la vie !
Plus sérieusement, c’est cette attention portée aux détails quotidiens qui permet d’apprendre une langue de manière intuitive, tout en s’amusant. Exactement ce que fait Assimil !
Commentaires récents