Comme la couleur de peau, la religion ou le sexe, la langue peut être une source de discrimination. Si le phénomène est encore mal connu en France, il existe bel et bien et touche les personnes parlant une langue étrangère comme celles qui s’expriment dans une langue régionale. Comment se manifeste la discrimination linguistique, ou « glottophobie » ? Qu’en est-il dans les autres pays du globe ? Quelles mesures existent pour empêcher cette forme de discrimination, et quelles sont celles envisagées ?
La discrimination linguistique, qu’est-ce que c’est ?
On parle de discrimination lorsqu’un individu ou une communauté est rejeté sur des critères subjectifs et arbitraires, comme sa couleur de peau, sa religion, son sexe ou son handicap, par exemple. Moins connue mais tout aussi illégitime, la discrimination linguistique est une forme de ségrégation observée dans la plupart des sociétés.
La glottophobie en France
La discrimination sur le critère de la langue peut prendre deux formes :
- La personne victime de glottophobie ne parle pas ou mal la langue du pays dans lequel elle se trouve. Elle fait alors l’objet d’un rejet en raison de sa mauvaise prononciation et de sa difficulté à comprendre et se faire comprendre.
- La personne visée parle une langue régionale et est contrainte d’utiliser la langue « officielle » ou « majoritaire » à l’oral et à l’écrit car sa langue est considérée comme incorrecte, informelle ou inférieure.
Si elle est mal identifiée et très rarement sanctionnée en France, il s’agit pourtant d’une forme d’exclusion. Elle est d’ailleurs clairement identifiée et interdite par l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :
« Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment (…) de langue ».
En effet, la langue, l’accent, la manière de parler est un attribut pleinement lié à la personne, à ses origines, à sa culture et à son histoire. La discrimination linguistique revient donc à rejeter l’identité de l’autre.
Les manifestations de la glottophobie
L’exclusion par la langue prend de nombreuses formes. Elle peut se manifester dès le plus jeune âge lorsqu’un professeur reprend un enfant sur sa « mauvaise prononciation » due à son accent par exemple. Elle apparaît aussi lorsque quelqu’un écorche la prononciation d’un nom ou d’un prénom volontairement, par moquerie ou par manque d’effort.
Il s’agit aussi de discrimination linguistique lorsqu’un individu est jugé négativement en raison de son accent pour l’obtention d’un poste ou d’un logement, entre autres.
Les conséquences de la glottophobie ne sont pas négligeables. Pour accéder à la promotion sociale et à l’égalité, certaines personnes n’hésitent pas à abandonner leur langue régionale ou à masquer leur accent.
Combattre la discrimination linguistique
En matière de discrimination linguistique, la France n’est pas un cas isolé. Le phénomène est l’une des actuelles problématiques de l’UE, exhortée par de nombreux pays à légiférer ou à nommer une commission chargée des langues, pour combattre cette forme d’exclusion.
En Espagne, la Constitution donne à chaque citoyen le droit de parler sa propre langue ; en revanche, chacun a le devoir de parler castillan. En Irlande, le gouvernement est accusé de vouloir détruire l’irlandais au profit de l’anglais. Considérée comme l’une des 24 langues officielles de l’Union Européenne depuis 2007, elle devra tout de même attendre 2022 pour être considérée comme une langue de travail au sein des institutions européennes. Les exemples sont quasiment aussi nombreux qu’il existe de pays dans le monde : par souci d’unicité, la langue officielle ou « majoritaire » a systématiquement tendance à effacer les langues régionales ou « langues minoritaires » dans la vie publique, politique, médiatique, culturelle…
La notion de langue minoritaire est d’ailleurs rejetée par les locuteurs de ces langues réprimées, puisqu’elle suggère une hiérarchisation des langues. Difficile en effet de parler de langues minoritaires lorsque l’on sait qu’il en existe plus de 60 dans l’UE, employées par 10 % de la population soit environ 55 millions de personnes.
Une charte existe pourtant pour lutter contre la glottophobie et permettre à leurs locuteurs de s’exprimer librement. La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, adoptée en 1992 entend protéger ce patrimoine culturel européen et favoriser l’utilisation de ces langues, dans la sphère privée et publique. Les États signataire s’engagent à :
- reconnaître les langues régionales ou minoritaires comme une forme de richesse culturelle ;
- respecter la zone géographique de chacune de ces langues ;
- promouvoir ces langues ;
- faciliter et encourager leur usage ;
- permettre son enseignement à tous les stades ;
- promouvoir les échanges transfrontaliers ;
- interdire la discrimination ou l’exclusion basée sur la langue ;
- promouvoir la compréhension et l’échange entre les différents groupes linguistiques du pays.
À l’heure actuelle, 24 pays ont signé et ratifié cette charte : l’Allemagne, l’Arménie, l’Autriche, Chypre, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Hongrie, le Liechtenstein, le Luxembourg, le Monténégro, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la Suisse, la République Tchèque et l’Ukraine.
En France, depuis le 18 novembre 2016, l’article 225 du code pénal sur les discriminations s’est enrichi d’une mention concernant les discriminations linguistiques. La loi dite de « modernisation de la justice du XXIe siècle » stipule en effet que :
« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, (…) de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français ».
Concrètement, cet article officialise le fait qu’on ne peut plus demander à une personne, en France :
- d’être monolingue en français ;
- de s’exprimer en français ;
- d’être plurilingue et de pouvoir s’exprimer dans une langue autre que le français (sauf pour les emplois qui nécessitent la maîtrise d’une autre langue).
Si l’article est passé relativement inaperçu, il est pourtant révolutionnaire en ce qu’il implique pour la reconnaissance et le combat des discriminations linguistiques. Sa mise en application paraît toutefois complexe, car elle contredit plusieurs institutions et textes de loi affichant la prééminence du français et l’interdiction d’utiliser les langues régionales, immigrées, étrangères ou minoritaires dans plusieurs cas. Au-delà des textes de loi, ce sont nos mœurs et notre habitude de l’hégémonie du français qui risquent de compliquer la mise en application de l’article.
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