Troisième volet de notre série consacrés aux films en version originale. Ce mois-ci le danois est au programme avec un des plus grands films de l’histoire du cinéma : Ordet de Carl Theodor Dreyer (1955).
Ordet (la parole, le Verbe en danois) est considéré par la critique et les cinéphiles comme un chef -d’œuvre du cinéma mondial. C’est assurément un des meilleurs films de son auteur, le danois Carl Theodor Dreyer, qui a signé des classiques comme La Passion de Jeanne d’Arc et Vampyr. Mais qui, en dehors de quelques passionnés, se souvient de ce long métrage en noir et blanc distribué en 1955 et qui remporta le Lion d’Or au Festival de Venise ? Adaptation d’une pièce de théâtre du pasteur Kaj Munk, film austère et dénudé jusqu’à l’os dont l’enjeu est la foi religieuse, Ordet peut paraître ennuyeux et peu séduisant de prime abord. Mais le film est si puissant et fluide dans sa narration, les images si hypnotiques et si finement ciselées que bien peu résistent à son pouvoir, intact, près de 60 ans après sa sortie en salles.
Différentes conceptions de la foi
Ordet se passe dans le Jutland rural du milieu des années 1920. Le fermier luthérien Morten Borgen exploite une gigantesque ferme, le domaine de Borgensgård. Veuf, il vit entouré des ses trois fils Mikkel, Johannes, Anders et de la femme de Mikkel, Inger, enceinte de son troisième enfant. Johannes est atteint d’une grave crise mystique et se prend pour Jésus, au grand désespoir de sa famille qui le considère fou, à l’exception d’Inger. Anders, le fils cadet de Morten, souhaite épouser la fille du tailleur mais celui-ci s’y oppose fermement pour des questions religieuses. Bien qu’étant de confession semblable, le fermier et le tailleur ne partagent pas la même conception de la foi. Inger accouche d’un enfant mort-né et meurt quelques heures après l’accouchement. Au même moment, Johannes disparaît. Il finira par réapparaître, visiblement guéri, au moment où l’on doit refermer le cercueil d’Inger pour le transporter au cimetière. C’est alors que Johannes accomplit l’impossible : il ressuscite Inger par la seule puissance du Verbe, démontrant à tous la tiédeur de leur foi.
Film miraculeux sur un miracle
Chacun des personnages d’Ordet est dessiné dans son rapport à la foi : fervente et ouverte chez le fermier, omniprésente et morbide chez le tailleur, douce et bienveillante chez Inger, vacillante chez Anders et Mikkel, etc. Quant à Johannes, c’est le Christ de la parousie, le Christ enfin revenu sur la Terre et prêt à accomplir de nouveaux miracles malgré l’incrédulité des croyants qui l’entourent. Ce qu’il fera dans la scène finale, offrant à Dreyer un inoubliable moment de cinéma. Le réalisateur danois a filmé ce drame en plan américain, refusant de s’approcher pour filmer les visages en gros plans ; sa caméra est sans cesse en mouvement, mais de façon très subtile, de telle sorte qu’on a l’impression de ne voir que des plans-séquences. Ces cadrages ne sont pas sans rappeler les compositions des peintures d’intérieur du peintre danois Vilhelm Hammershøi que Dreyer aimait beaucoup. Film sur un miracle, Ordet est aussi un film miraculeux, illustration parfaite de cette citation de Robert Desnos : « Ce que nous demandons au cinéma, c’est l’impossible, c’est l’inattendu, le rêve, la surprise, le lyrisme qui effacent les bassesses dans les âmes et les précipitent enthousiastes aux barricades et dans les aventures ; ce que nous demandons au cinéma, c’est ce que l’amour et la vie nous refusent, c’est le mystère, c’est le miracle ».
Ordet, un film de Carl Theodor Dreyer (Danemark, 1955, 126 minutes). Disponible en DVD (MK2, collection les éternels). Sous-titrages disponibles en français.
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