Dialecte, langue, idiome, argot, patois, jargon : ces mots, nous les avons tous déjà entendus ou même prononcés. Mais quelle est réellement leur signification ? À quel concept renvoie chacun de ces termes ? Difficile à dire, même pour des linguistes et les sociolinguistes, car cela va au-delà même du langage. Assimil tente de répondre à cette question pour le moins pointue.
Langue et dialecte, sont-ils si différents ?
Si un dialecte semble être parlé par une minorité de gens, il est tout de même une langue. Et en même temps, un linguiste vous dira qu’une langue est un dialecte. Alors quelle est la différence entre une langue et un dialecte ?
La langue : définition
Commençons par analyser la terminologie de ce mot : langue. C’est le concept le plus général, et celui-ci paraît simple, aussi simple que le français est la langue de la France, l’allemand celui de l’Allemagne, etc… Si l’on se fie à une définition du dictionnaire Larousse, la langue désigne un « système de signes vocaux, éventuellement graphiques, propre à une communauté d’individus qui l’utilisent pour s’exprimer et communiquer entre eux ».
Le dialecte
Le Larousse définit le dialecte comme « un ensemble de parlers qui présentent des particularités communes et dont les traits caractéristiques dominants sont sensibles aux usagers ». Pourtant, pour les linguistes, le dialecte est bel et bien une langue. Alors comment différencier une langue et un dialecte ?
Langue et dialecte : quelles distinctions ?
Pour le linguiste Claude Hagège, langue et dialecte sont très similaires ; un dialecte a lui aussi une grammaire, tout aussi complexe que ce qu’on appelle une langue, tout comme il a une morphologie, une syntaxe, une phonétique et une phonologie. En soi, le dialecte a donc toutes les composantes d’une langue humaine mais il s’en distingue par des caractéristiques extérieures, et donc non linguistiques :
- c’est lorsque le dialecte devient un instrument de gouvernement qu’il devient une langue, au sein d’un pays dans lequel s’est installé un pouvoir politique donné. La langue est donc un instrument de pouvoir dans un lieu donné.
- La langue est le moyen de communication par l’écrit : elle est soumise à des réformes contrairement aux dialectes qui n’évoluent pas ou peu.
- La langue est soumise à une entreprise de normalisation : on essaie de dégager une norme.
Pour le linguiste, ce sont ces trois critères qui permettent de distinguer langue de dialecte. Mais d’un point de vue linguistique, le dialecte est aussi une langue. La terminologie de « langue » a donc une dimension sociopolitique. En France, la langue officielle est le français. Le breton, le basque, le corse ou encore l’alsacien sont des langues régionales, qu’on appellerait alors des dialectes en comparaison avec la langue officielle qu’est le français. Idem en Inde par exemple ou l’anglais et l’Hindi sont les deux langues officielles alors qu’une vingtaine de dialectes sont reconnus parmi lesquels le cachemiri, le pendjabi, le bengali ou encore le népalais.
Idiome
Un idiome est un terme général qui se définit par l’ensemble des instruments de communication linguistique utilisé par une communauté. Cette terminologie très générique recouvre donc aussi bien les notions de langue, de patois comme de dialecte. En d’autres termes, on peut dire que le terme « idiome » définit toutes les particularités d’une langue, tous ses caractères spéciaux. On parlera de l’idiome français, de l’idiome espagnol, etc.
Le patois
Le patois est un système linguistique essentiellement oral, utilisé dans des espaces réduits par une communauté déterminée, et souvent perçu comme inférieur à la langue officielle nationale. Claude Hagège défend néanmoins le patois en rappelant que ce sont néanmoins des langues dotées d’une grammaire élaborée complexe. Pour le linguiste, elles ne sont en rien des moindres langues, comme on le croit souvent. Leur « mauvaise image », les patois le doivent au fait que ce sont des langues de milieux ruraux, cantonnées dans des espaces où il y a une activité rurale (élevage, culture, …). Les patois sont parlés dans un espace de population restreint au sein duquel les gens se connaissent. Les patois sont très conservateurs vis-à-vis de la langue car ils n’ont pas eu de raison d’évoluer du fait de leur cantonnement dans les milieux ruraux. Vu de la ville, le patois serait donc une langue qui aurait oublié d’évoluer et de se moderniser. Par dénigrement, le patois est donc souvent associé à une langue pauvre et grossière. On trouve bon nombre de patois : le patois provençal, le patois normand, le patois savoyard, le patois gascon, etc.
L’argot
L’argot se définit comme l’ensemble des mots particuliers utilisés par un groupe social vivant replié sur lui-même et désireux de se protéger du reste du monde. On trouve donc un argot élitiste dans certaines grandes écoles et dans certains corps de métier. Cette phraséologie particulière, plus ou moins riche, technique et pittoresque permet aux membres de cette communauté de se comprendre. À l’opposé, vagabonds, mendiants, voleurs ou encore mafieux ont eux aussi un argot qu’eux seuls comprennent. Dans tous les cas, il s’agit de particularités de langage qui excluent le reste du monde d’une communauté.
Le jargon
La frontière entre jargon et argot est ténue puisque, de son côté, le jargon se définit par un vocabulaire propre à une profession, une discipline ou une activité, généralement inconnue du grand public. On parle par exemple du jargon judiciaire, du jargon de journalistes, du jargon informatique, etc. Ce jargon, propre à certaines professions, est aussi synonyme d’argot de métier. Pas facile de s’y retrouver dans tout ce charabia !
Assimil vous accompagne…
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Le mot « dialecte » est absolument à proscrire en dehors du cadre strictement linguistique entre spécialistes. Aucune différence avec une langue, se ce n’est des considération politiques de domination, comme il est dit dans l’article.
Quant au mot « patois », c’est un instrument de dénigrement d’une langue dans un but également politique. Deux personnes parlant l’occitan, langue beaucoup plus riche que le français (jusqu’à 9 fois !!!) dotée de temps de conjugaison qui n’existent même pas en français (le futur du passé) et d’un usage commun du prétérit qui la rend très littéraire, seront déclarés comme « parlant patois », gommant ainsi jusqu’au nom de la langue qu’ils parlent.
Bonsoir Jean-Marc,
Je suis tout à fait d’accord avec toi en ce qui concerne le terme de « patois », et assez d’accord pour celui de « dialecte », bien qu’il ne me semble pas que dans ce dernier cas le mot soit à proscrire absolument, car il recouvre quand même, en dehors de considérations politiques éventuelles, une réalité linguistique, ce que l’article indique bien, contrairement à la lecture que tu sembles en faire.
Je suis en revanche tout à fait en désaccord sur ce que tu écris à propos de l’occitan qui serait « jusqu’à 9 fois » plus riche que le français. Sur quels critères te fondes-tu pour affirmer cela ? Parles-tu de la grammaire, ou alors du vocabulaire (on peut toujours donner des exemples de langues disposant de plusieurs synonymes pour telle ou telle notion pour laquelle une autre langue n’aura qu’un seul mot) ? Quel est le système d’évaluation qui permettrait de déterminer le degré de « richesse » (et donc, à l’inverse, de « pauvreté ») des différentes langues ?
Je ne comprends pas non plus ta remarque sur les temps de conjugaison qui existent en occitan mais pas en français, d’autant que tu n’en cites qu’un, le « futur dans le passé ». De quoi au juste s’agit-il ? Veux-tu parler de temps simples (ou « synthétiques »), composés, ou exprimés à l’aide d’une locution (« périphrastiques ») ? Il est important de le préciser, car le fait qu’une langue ait recours pour l’expression d’un « temps » à une forme composée ou périphrastique plutôt que synthétique ne signifie pas qu’elle ne connaît pas le temps en question. Le futur dans le passé est exprimé en français d’au moins quatre façons, entre lesquelles les nuances peuvent être subtiles :
Il y a un mois, j’allais partir en vacances. (forme composée de l’auxiliaire « aller » à l’imparfait + infinitif)
Il y a un mois, je m’apprêtais à / j’étais sur le point de partir en vacances. (locutions « s’apprêter à » ou « être sur le point de » à l’imparfait + infinitif)
Le lendemain, il quittait définitivement le pays. (forme simple exprimée par l’imparfait)
Le lendemain, il quitterait définitivement le pays. (forme simple exprimée par le conditionnel)
Il est vrai que le gascon, que certains considèrent comme une langue à part, et d’autres comme une variante de l’occitan (un dialecte, donc ), se singularise par une forme simple de futur antérieur (c’est-à-dire un « passé dans le futur ») que le français exprime par une forme composée d’un auxiliaire au futur + participe passé. Mais cette particularité n’est rien de plus que, par exemple, celle du portugais qui a une forme simple de plus-que-parfait, surtout littéraire, face à la forme composée de la langue parlée, constituée comme en français ou occitan, d’un auxiliaire à l’imparfait + participe passé (en revanche, avec le subjonctif futur et l’infinitif personnel, le portugais possède bien des « temps » qui n’existent ni en français, ni en occitan). Le bulgare, de son côté, dispose d’une forme spécifique de futur dans le passé, qu’on pourrait presque qualifier de « surcomposée » puisqu’elle fait intervenir le passé d’un auxiliaire spécifique, une particule, et le présent du verbe conjugué.
Je suis occitan par mes origines, j’ai presque toujours vécu en Occitanie, et je suis, est-il besoin de le préciser, très intéressé par la langue et la culture occitanes. Mais je crois que l’enthousiasme que suscite l’amour qu’on peut avoir pour telle ou telle langue ne doit pas nous faire tomber dans le piège de la surestimation, tout aussi néfaste que celui du dénigrement, qui pointe le bout de son nez dès lors qu’on exagère les mérites, réels ou supposés, d’une langue face à une autre.
Bonne soirée,
Michel.
Bonjour !
Je reviens de la découverte du Pays Basque et j’ai eu la curiosité de regarder quelles étaient les différences entre langue, idiome, patois etc… C’est ainsi que je suis tombée sur votre article publié il y a 2 ans certes mais qui n’a pas pris une ride et qui m’a beaucoup intéressée d’une part par sa précision, sa clarté, son accessibilité et d’autre part par vos allégations toujours illustrées et justifiées.
En outre, vous dites être occitan et cela tombe bien, je vous explique pourquoi.
Lors de mon séjour au Pays Basque, j’ai bénéficié d’un guide (basque, c’est important de le préciser) qui m’a fait partager sa grande érudition tant par le petit que le gros bout de la lorgnette. Sa prestation fut à mon avis juste parfaite.
Néanmoins, son exposé sur la langue basque m’a interpelée car il a opposé le basque en tant que langue au catalan qui selon lui est à assimiler à un patois sans aucune connotation péjorative au demeurant.
Il expliquait qu’une langue ne doit pas avoir d’origine ou dériver d’une autre langue.
C’est effectivement le cas du basque alors que le catalan prend ses origines dans la langue française.
J’ai des parents à Barcelone qui ne me pardonneraient pas que je leur dise que le catalan n’est pas une langue.
Qu’en pensez-vous exactement?
Merci de bien vouloir m’éclairer de votre science en la matière.
Cordialement
Annie BASSET
annbass@outlook.fr
Bonjour Michel et Jean-Marc,
Très intéressant votre échange. Une petite remarque pour Jean-Marc sur l’inexistence du Futur dans le Passé en Français. Quand je dis «Si j’avais eu de l’argent, j’aurais acheté une maison» nous sommes exactement dans le cas d’un futur dans le passé. Le premier verbe au plus-que-parfait exprime bien un passé qui est antérieur au verbe acheter qui a la forme de la première forme du conditionnel passé. Même si ce conditionnel exprime un potentiel, il n’en est pas moins un futur dans le passé par rapport au premier verbe.
Quant à Michel quand tu dis que le Futur antérieur est un passé dans le futur, on ne peut pas dire que c’est tout à fait exact, exemple à l’appui. Quand on dit «Dès que tu auras fini ton travail, tu pourras sortir» l’action exprimée par le premier verbe au futur antérieur porte bien son nom : elle est située dans le futur et elle est antérieure à l’action exprimée par le second verbe. Ce n’est pas parce qu’elle va se passer avant le fait de sortir qu’elle sera un passé dans le futur puisque les deux actions sont situées dans la Futur. Quand les deux actions seront accomplies finir, le travail et sortir, alors là seulement la première deviendra le passé de la seconde. Pour les exprimer on devra changer les temps de conjugaison. Le passé surcomposé sera alors très utile «Dès que tu as eu fini ton travail, tu as pu sortir» ou alors de façon plus classique le passé simple et le passé antérieur retrouveront leurs utilisations normales « Dès que tu eus fini ton travail, tu pus sortir» mais qui parle ainsi de nos jours?
Un dialecte, c’est une variante d’une langue. Le breton n’est pas un dialecte, un dialecte de quelle autre langue, le français ?
Le breton est une langue, avec sa propre grammaire, son vocabulaire… et ses propres dialectes. En breton il existe le vannetais, le léonard, etc, qui peuvent être considérés comme des dialectes du breton.
Tout cela c’est la même langue, la langue bretonne, mais il y a des variantes de prononciation, d’expressions.
Bonjour Yves,
Le site n’affichant que les cinq derniers messages par ordre chronologique de publication, je découvre cet après-midi seulement ton commentaire du 19/7/21, grâce à celui posté par Stéph il y a deux jours…
Merci pour ta remarque, mais le verbe de la proposition subordonnée, au futur antérieur, exprime bien dans l’exemple que tu proposes un passé dans le futur :
« Dès que tu auras fini ton travail, tu pourras sortir. »
Au moment où la phrase est dite (ici, le présent), tu n’as pas fini ton travail et tu n’as pas pu sortir ; on envisage que dans le futur, tu finiras ton travail et ensuite tu pourras sortir ; donc la fin de ton travail sera une action passée au moment où tu pourras sortir.
Nous sommes en fait d’accord, et tu as d’ailleurs raison de souligner la signification de l’expression « futur antérieur » : c’est un futur qui se produit, avant un autre futur, donc… un « passé dans le futur ». Que les actions soient toutes les deux situées dans le futur par rapport au moment présent ne change rien à leur ordre de succession.
Il me semble qu’il y a une confusion dans la seconde partie de ton message 😉. Tu dis en effet que quand les deux actions seront accomplies, la première deviendra le passé de la seconde (c’est ce qu’on vient de voir) et qu’il faudra alors changer les temps pour exprimer cela. Mais si tu envisages bien le futur (seront accomplies, deviendra, faudra), lorsque tu modifies ton exemple pour en changer les temps… tu places les deux actions dans le passé par rapport au temps de l’énonciation :
« Dès que tu as eu (ou : eus) fini ton travail, tu as pu (ou : pus) sortir. »
Au moment où la phrase est dite (toujours le présent), tu as fini ton travail et tu as pu sortir ; on constate que dans le passé, tu as fini ton travail et ensuite tu as pu sortir ; donc, la fin de ton travail était une action passée au moment où tu as pu sortir. On peut dire qu’ici le passé surcomposé (ou le « passé antérieur », terminologie elle aussi révélatrice) exprime un passé dans le passé.
La notion de « temps de l’énonciation » est importante. Dans nos deux exemples, c’est le présent, comme on le voit clairement si on subordonne l’ensemble de la phrase à un autre verbe, et qu’on souligne (un peu lourdement…) la chronologie à l’aide d’adverbes ou expressions adverbiales :
« /Je confirme aujourd’hui que demain/ Dès que tu auras fini ton travail, tu pourras sortir. »
« /Je confirme aujourd’hui qu’hier/ Dès que tu as eu fini ton travail, tu as pu sortir. »
La structure change quand le temps de l’énonciation est différent, mais de nombreux éléments qu’il serait sans doute un peu fastidieux d’examiner en détail, comme le degré de certitude ou de proximité de l’action, sont susceptibles d’intervenir, augmentant le nombre de possibilités. Parmi les combinaisons grammaticalement admissibles, citons :
« /Je confirme aujourd’hui que demain/ Dès que tu as fini ton travail, tu pourras sortir. »
« /Je confirme aujourd’hui que demain/ Dès que tu auras fini ton travail, tu peux sortir. »
« /Je confirme aujourd’hui que demain/ Dès que tu as fini ton travail, tu peux sortir. »
« /Je confirme aujourd’hui qu’hier/ Dès que tu as fini ton travail, tu as pu sortir. »
« /Je confirmais avant-hier que le lendemain/ Dès que tu finirais ton travail, tu pourrais sortir. »
« /Je confirmais avant-hier que le lendemain/ Dès que tu aurais fini ton travail, tu pourrais sortir. »
« /Je confirmais hier que la veille/ Dès que tu avais eu fini ton travail, tu avais pu sortir. »
« /Je confirmerai demain que la semaine prochaine/ Dès que tu finiras ton travail, tu pourras sortir. »
« /Je confirmerai demain que la semaine prochaine/ Dès que tu auras fini ton travail, tu pourras sortir. »
« /Je confirmerai demain que la semaine prochaine/ Dès que tu finirais ton travail, tu pourrais sortir. »
« /Je confirmerai demain que la semaine prochaine/ Dès que tu aurais fini ton travail, tu pourrais sortir. »
« /Je confirmerai demain qu’aujourd’hui/ Dès que tu as fini ton travail, tu as pu sortir. »
« /Je confirmerai demain qu’aujourd’hui/ Dès que tu avais eu fini ton travail, tu avais pu sortir. »
De telles subtilités, qu’on peut trouver dans toutes les langues, compliquent bien entendu la tâche des apprenants qui doivent acquérir un profond « sens de la langue » avant de pouvoir en jouer correctement.
Bonne fin de week-end,
Michel.
Bonsoir Annie,
Merci pour ton commentaire, et le hasard fait bien les choses puisque Assimil annonce aujourd’hui même rechercher un auteur pour un futur ‘‘Apprendre le basque’’ !
Je dois te préciser tout d’abord que je ne suis pas un professionnel. Certes, j’ai étudié la linguistique générale, parallèlement à quelques langues (slaves principalement) durant mes années à l’université, mais je n’ai par la suite pas exercé très longtemps la carrière d’enseignant qui m’était pourtant toute tracée. Il serait donc abusif que je prétende être détenteur d’une quelconque « science » du langage et des langues. Je suis tout au plus un amateur, peut-être seulement un peu plus éclairé que la moyenne grâce à la curiosité qui me pousse depuis l’âge de 10 ou 11 ans à étudier un grand nombre de langues et à en approcher encore plus (à l’heure actuelle, ma bibliothèque personnelle en compte exactement 582, de l’abadi au zoulou !) avec un intérêt qui ne faiblit pas.
Cela dit, les réflexions de ton guide suscitent en effet une réaction de ma part, et il est probable qu’elle aille dans le sens de ce que tu as toi-même ressenti à l’écoute de ses propos. Il paraît indéniable que cet homme possédait une connaissance approfondie des lieux qu’il t’a fait visiter et de tout l’arrière-plan historique et culturel qui rend une telle découverte passionnante. Mais je crois que, comme Jean-Marc dans son commentaire du 14/5/2020, il s’est laissé emporter par l’amour qu’il éprouve pour sa langue de prédilection et que ce sentiment, par son excès, l’a aveuglé au point de lui faire dire un certain nombre de « bêtises », terme que j’utilise sans intention de porter atteinte à ses qualités par ailleurs.
Je crois par exemple que le terme de « patois » n’est pas de nos jours tout à fait neutre, mais je n’insisterai pas plus sur ce point : après tout, certains locuteurs de langues régionales l’utilisent, par habitude et sans connotation dépréciative, quand ils ne le revendiquent pas, par un phénomène de « retournement » qu’on peut observer au sein de différentes communautés.
En revanche, affirmer qu’ « une langue [pour accéder à ce statut censé être plus prestigieux] ne doit pas avoir d’origine ou dériver d’une autre langue » est stupéfiant à entendre dans la bouche de quelqu’un qui s’est visiblement intéressé au moins un peu à la question. Cette opinion, dont je me demande bien par quel cheminement on peut y arriver, conduirait à conclure que les langues romanes ne sont que des « patois » (mais de quoi, de l’une d’entre elles comme le français, du latin, de l’indo-européen ?…), sans parler d’autres (germaniques, celtiques, sémitiques, algonquines, etc., etc.) qui, pour partager d’assez nombreux traits communs, n’en ont pas moins des spécificités bien marquées. En somme, les seules « vraies » langues seraient celles qu’on n’est pas encore parvenu à rattacher à une famille ou un groupe de façon probante, comme le basque, en effet. Adieu sanskrit, grec, latin… Il n’existerait que moins d’une centaine de « langues » au monde, la plupart ayant un très petit nombre de locuteurs et étant par conséquent peu connues, si l’on considère que le japonais et le coréen font chacun partie d’un groupe (langues japoniques et coréaniques respectivement) et ne mériteraient donc pas eux non plus d’être qualifiés de « langues ». Les seules dont le nom peut avoir été entendu en dehors d’un cercle restreint de spécialistes se compteraient sur les doigts d’une main, et il ne me vient guère à l’esprit que l’aïnou, le bourouchaski, le purépecha ou le pirahã, cette dernière célèbre depuis que le linguiste Daniel Everett, après l’avoir étudiée en profondeur in situ, a mis en évidence plusieurs de ses traits d’une incroyable rareté, dont un qu’elle est la seule à présenter parmi toutes les langues connues, la non-récursivité. On ajoutera à ce gotha pour les langues mortes l’étrusque, le sumérien ou l’élamite. On voit bien qu’à ce compte-là, le basque ferait figure, comme par hasard, de roi absolu de la création linguistique !
Cependant, beaucoup de ces isolats linguistiques sont discutés, sinon discutables, et il est permis de penser que certains entretiennent des liens de parenté éloignés que seule la difficulté à réunir des preuves significatives (langues très peu documentées ne disposant en général pas d’écriture, très peu parlées, et s’étant séparées depuis suffisamment longtemps pour avoir considérablement divergé) empêche encore d’établir de façon indiscutable.
Par ailleurs, dire que le basque est une langue unique, c’est faire bien peu de cas de ses dialectes, dont certains sont difficilement intercompréhensibles. Cela signifierait-il qu’après avoir été une « langue », avec tout le prestige que confère ce titre, il se serait dégradé, abâtardi, aurait dégénéré en une série de dialectes ou… de patois informes ? 🤣
Je passerai rapidement sur la prétendue origine française du catalan (et donc, je suppose, de l’occitan, qui lui est assez proche) qui démontre une grande ignorance de l’histoire des langues romanes. Mais toutes les élucubrations sont possibles, et ici même, il y a quelques années, quelqu’un avait affirmé avec sérieux que le roumain ne dérivait pas du latin, mais qu’au contraire c’est lui qui avait donné naissance à la langue de Cicéron !
Bref, si je voulais forcer un peu le trait, je dirais que le poison du nationalisme va parfois se nicher un peu partout… On peut aimer sa langue, en particulier celle qui nous rattache à nos origines, et prendre plaisir à jouer de toutes ses ressources, mais il est injustifiable de vouloir par principe la tenir pour supérieure aux autres dans l’absolu. On ne peut apprécier la beauté d’une langue que par comparaison, et pour comparer, encore faut-il connaître, et pour cela faire l’effort d’apprendre. On se rend alors vite compte que chaque langue a ses particularités, ses charmes tout aussi appréciables que ceux de toute autre. Vouloir nier une langue et sa culture, et donc in fine un peuple, ne peut que conduire à des drames, comme nous le voyons aujourd’hui.
Pour finir sur une note plus heureuse, quand j’ai cité le zoulou, dernière langue de ma bibliothèque par ordre alphabétique, m’est revenue en tête une mini-série sud-africaine actuellement encore disponible sur Arte, Hopeville, que je conseille volontiers. L’histoire qui se développe au fil des 6 épisodes est très optimiste, très humaine, et, ce qui est particulièrement intéressant pour les participants à ce bloc-notes, on y entend plusieurs langues, l’anglais, mais aussi beaucoup – peut-être même plus – le zoulou et un mélange des deux (les passages d’une langue à l’autre dans une même phrase sont fréquents) ainsi qu’un peu d’afrikaans et de xhosa. Un bel exemple de cohabitation linguistique, qui plus est semblant tout à fait naturelle pour les protagonistes.
Bonne fin de soirée,
🇺🇦 Michel 🇺🇦
Bonjour à tous,
Michel, félicitations pour cette contribution équilibrée et argumentée, toute en retenue.C’est fou quand même de devoir entendre continuellement des c…ries à propos des langues. Comme quoi beaucoup ne savent pas faire la part des choses entre des données linguistiques étayées et objectives, et des fantasmes totalement subjectifs. Mais c’est bien la preuve que les langues passionnent!
Heureux de voir qu’Assimil prépare un Apprendre le basque (batua), même si je suis surpris de lire qu’il est difficile de trouver un(e) auteur(e), vu le nombre d’enseignants de basque en France. J’espère secrètement que la méthode évoquera (même brièvement) les variantes françaises (notamment le souletin). Le basque est en effet une langue fascinante… et bien accueillante lorsqu’on voit la quantité de mots empruntés (logiquement) à ses voisins. Même en linguistique il faut savoir être modeste et la « pureté » supposée d’une langue n’est bien souvent que l’incapacité des linguistes à identifier des emprunts (à des langues disparues p ex).
Merci pour cette référence à Hopeville que je ne connaissais pas. Il y a souvent des passages en afrikaans dans les films se déroulant en Afrique du Sud (Zulu, District 9), moins avec d’autres langues locales (Tsotsi).
Bon week-end, Yann