Dans la classification des langues dans le monde, le coréen détient une place spéciale. Cette langue atypique est considérée comme un isolat linguistique, et réputée peu facile à apprendre. Zoom historique, politique et bien entendu linguistique pour tout comprendre sur cette langue émergente aux 80 millions de locuteurs dans le monde.

Une langue orpheline

La plupart des linguistes estiment que la langue coréenne n’appartient à aucune famille de langues. On parle alors de langue isolée, c’est-à-dire une langue dont on ne peut démontrer aucune filiation avec d’autres familles de langues reconnues. En effet, la quasi-totalité des langues parlées dans le monde peuvent être affiliées par « relation génétique » en familles issues de langues ancestrales communes. Typiquement, le français provient du latin et appartient à la famille des langues indo-européennes. Selon cette classification, chaque isolat constitue une famille linguistique unique. Cette caractéristique linguistique n’implique pas un isolement communautaire, loin de là, puisque les isolats sont intrinsèquement liés aux vagues d’immigrations successives, comme ce fut le cas en Corée avec les dominations chinoise, puis japonaise. Le vocabulaire et l’écriture coréens présentent bien des similitudes avec les langues chinoise et japonaise. Ces trois langues restent toutefois distinctes.

En l’absence de textes anciens, la langue coréenne peut difficilement être connectée à une autre. Néanmoins, certains arguments admettent le coréen comme membre des langues coréaniques[1], avec le jeju (langue locale en déclin, parlée sur l’île Jeju en Corée du Sud), qui elles-mêmes pourraient être regroupées dans une famille coréen-japonais-aïnou (au sein des langues altaïques[2]).

L’introduction de l’alphabet Hangeul

Le Hangeul, signifiant « alphabet » en français, fut créé au XVe siècle par le roi Sejong le Grand afin de permettre à la population coréenne, et notamment aux femmes, un apprentissage simplifiée de la lecture et de l’écriture. Jusqu’ici, l’influence chinoise avait imposé l’utilisation des Hanja (caractères chinois) dont seuls les lettrés et nobles maîtrisaient l’écriture. Savoir lire et écrire était par conséquent réservé à une certaine élite et classe sociale. Le peuple comptait alors un grand nombre d’illettrés. La période Joseon modifia en profondeur l’histoire de la langue coréenne en lui conférant une identité propre et en lui accordant une place majeure par le biais d’un nouveau système d’écriture plus accessible. Cependant, le hangeul ne fut pas adopté immédiatement et de façon uniforme, les hanja restant en usage jusqu’à la fin du XIXe siècle.

La domination nippone, qui courut de 1910 à 1945 marqua une rupture dans la diffusion du Hangeul, sans pour autant le faire disparaitre. À la fin de l’occupation japonaise, le Hangeul devint le système d’écriture dominant.

À l’heure actuelle, la majorité des sud-coréens savent lire et écrire. Le taux d’alphabétisation avoisine les 100 % en Corée du Sud. La création du Hangeul est donc plus qu’une simple écriture. Il s’agit d’un réel symbole identitaire propre au peuple coréen qui est parvenu à ne plus dépendre seulement des différentes influences linguistiques étrangères.

Facilement mémorisable, le Hangeul est considéré comme l’alphabet le plus logique au monde. Pour un francophone, les principales difficultés résident dans la prononciation, qui est multiple en fonction des consonnes expirées, des consonnes doubles ou encore des similitudes phonétiques avec les voyelles composées. Il s’agit d’une langue syllabique, disposant d’un alphabet composé de 19 consonnes (14 de base, 5 consonnes doubles) et 21 voyelles (10 de base, 11 composées). Chaque lettre a été conçue pour montrer comment la prononcer avec la bouche et la langue. On écrit de bas en haut et de gauche à droite, sans interruption. Les mots coréens sont ensuite subdivisés en trois groupes : le coréen natif, le sino-coréen et les emprunts aux langues étrangères. En effet, 60 % du coréen puise ses origines dans la langue chinoise ; les autres emprunts sont aujourd’hui essentiellement attribués à l’anglais, du moins en Corée du Sud.

Le Hangeul constitue par conséquent une connexion forte entre tous les Coréens du monde, et fait partie intégrante de l’histoire de la Corée. Pour exemple, les Coréens du Nord et du Sud disposent d’une journée commémorative du Hangeul : le 9 octobre en Corée du Sud, le 15 janvier en Corée du Nord. Une rupture calendaire qui va de pair avec la volonté de se démarquer.

Une division politique et linguistique

À la conférence de Yalta, qui s’est tenue du 4 au 11 février 1945, est promulguée la séparation de la Corée au 38e parallèle, partagée entre les États-Unis et l’URSS. La guerre de Corée (1951-1953) demeure le conflit le plus meurtrier de la seconde moitié du XXe siècle.

Cette division politique va avoir un impact lourd sur l’évolution de la langue, amenée à se différencier, voire se scinder, sous l’influence des contacts extérieurs installés et de la fracture entre les deux Corée.

Dans les deux états, la langue coréenne reste un fort enjeu d’identité nationale, mais deux branches se dessinent, s’apparentant à des dialectes : celui de Pyongyang au Nord, celui de Séoul au Sud.

En principe, le coréen entre le Nord et le Sud est identique, on constate néanmoins des disparités dans l’appellation même de l’alphabet : Hangeul au Sud, Chosonkul au Nord (et comme nous l’avons plus haut dans le jour même de sa commémoration).

La division idéologique a également entraîné de profondes dissensions linguistiques avec des politiques mises en place, opposées. La politique de purification linguistique établie dans le Nord afin d’éradiquer toute référence au passé (en faisant disparaître les emprunts au chinois) a notamment joué un rôle important dans la scission linguistique entre les deux pays. Ces pays jumeaux ne se côtoyant pas, le vocabulaire évolue depuis différemment. La volonté de se distinguer l’un de l’autre a favorisé également l’émergence de plusieurs formes pour un même mot. Les obstacles linguistiques se repèrent, en effet, dans le sens des mots dans son contexte géopolitique. Le mot dongme semble significatif : il se traduit « camarade » en Corée du Nord, « ami » en Corée du Sud.

En 70 ans de sécession entre les deux Corée, les nuances se sont démultipliées, et on compte aujourd’hui 40 % de mots différents.

L’histoire de la Corée a indubitablement façonnée la langue coréenne. Malgré tout, par-delà les frontières, le coréen est parlé dans toute la diaspora (en Chine, au Japon, aux États-Unis, en Russie, et dans une certaine mesure en France, au Canada, en Australie). Une histoire singulière pour cette langue qui résiste aux épreuves du temps et des conflits politiques, jusqu’à se hisser au 17e rang de langue la plus parlée au monde.


[1] Les langues coréaniques sont les langues parlées dans la péninsule de Corée : le coréen, le jeju, le yukin.

[2] Les langues altaïques doivent leur nom à la région d’Altaï qui s’étend de la Russie à la Chine, et regroupent les langues turques, mongoles et toungouzes. Dans une définition plus large, le coréen est parfois ajouté.

BIBLIOGRAPHIE

FABRE, André. « Catalan et coréen : même combat » dans Impérialismes linguistiques hier et aujourd’hui, Aix-en-Provence, Inalco Édisud, 2005, p. 271-280.

KIN HA-SU. « Les problèmes linguistiques entre la Corée du Nord et la Corée du Sud » dans Impérialismes linguistiques hier et aujourd’hui, Aix-en-Provence, Inalco Édisud, 2005, p. 281-295.

Article de La Croix en ligne : « Entre les deux Corées le langage aussi diverge ».