Ce mois-ci nous vous présentons un film mexicain hors du commun : Cabeza de Vaca (1991) ou le voyage hallucinant, halluciné et hallucinogène de l’explorateur Cabeza de Vaca, un conquistador devenu chaman qui a vécu pendant huit ans parmi les Indiens.
Il aura fallu attendre presque vingt ans pour que ce film, sorti au Mexique et aux Etats-Unis en 1992, arrive sur les écrans français, précédé d’une réputation amplement méritée, grâce aux efforts constants de son distributeur, E.D. Distribution.
Cabeza de Vaca raconte le voyage à pied d’Álvar Núñez Cabeza de Vaca, trésorier dans l’expédition de Pánfilo de Narváez en Floride (1527). Seuls 4 membres de cette expédition ont survécu, qui comptait au départ environ 600 hommes. On sait que Cabeza de Vaca, échoué en Floride, a parcouru pendant 8 années différentes régions du sud des Etats-unis et du Mexique actuels à pied. Son périple d’est en ouest va de la Floride jusqu’à la mer de Cortès, où il rejoint les Espagnols dans l’Etat de Sinaola (Mexique). Une fois rentré en Espagne, il consigne ses observations et son récit de voyage dans un ouvrage destiné à Charles Quint publié en 1542.
Faits réels et fantasmés
Le réalisateur Nicolás Echevarría, documentariste jusqu’alors, signe son premier film de fiction en s’appuyant sur les faits racontés par Cabeza de Vaca, auquel il ajoute des événements imaginaires, au plus proche de ses obsessions et préoccupations personnelles : les civilisations précolombiennes, le mysticisme, la magie, le chamanisme, les drogues divinatoires et hallucinogènes. Le long métrage commence avec le naufrage des explorateurs et des scènes directement inspirées du radeau de la Méduse de Géricault. Puis, à la suite d’événements que nous tairons pour ne pas dévoiler toute l’intrigue, Cabeza de Vaca devient l’esclave d’Indiens en Floride.
Langue du film : l’huichol
C’est l’un des aspects les plus intéressants du film : le colonisateur devient l’esclave par un renversement ironique de toutes les valeurs occidentales de l’époque. De même, quand Cabeza de Vaca, à la suite d’un rite initiatique, devient bel et bien un chaman indien, c’est toute sa foi catholique qui s’en trouve ébranlée. L’explorateur devient en quelque sorte l’exploré. Pendant son épopée d’est en ouest, Cabeza de Vaca rencontre différentes tribus et ethnies, des nomades pour la plupart. Ils s’expriment dans leur langue, que Nicolás Echevarría s’est bien gardé de traduire et de sous-titrer : ainsi, cette expérience de l’étrangeté et de l’altérité vécue par Cabeza de Vaca, ne comprenant rien aux langues indigènes et n’ayant pas la méthode Assimil correspondante sous la main, c’est aussi celle du spectateur. Cette immersion/identification du/au personnage principal fonctionne à merveille et donne toute sa dimension métaphysique au film. Ignorant les idiomes utilisés par les indigènes rencontrés, Nicolás Echevarría a opté pour une langue corachol, l’huichol, toujours parlée par les Huichol mexicains de la Sierra Madre (moins de 20000 locuteurs aujourd’hui). A l’inverse, l’espagnol parlé par Cabeza de Vaca se détériore au fur et à mesure de son épopée, suivant une trajectoire parallèle à sa foi, de moins en moins assurée, de moins en moins catholique. Magnifiquement filmé, hypnotique de la première à la dernière minute, Cabeza de Vaca est une expérience de cinéma puissante, à la fois un film d’aventures, un film historique et ethnographique, un road-trip psychédélique et un beau bras d’honneur à l’Occident.
Sur le chamanisme et les Indiens Huichol : http://www.shamanism.com/huichol-indians/
Cabeza de Vaca (Mexique, 1991) de Nicolás Echevarría est disponible en DVD et VOD (V.O. espagnole avec sous-titres) chez E.D. Distribution et chez tous les bons revendeurs vidéo.
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