« Les Français sont mauvais en langues ». Cette rengaine que l’on entend à la publication de chaque classement international évaluant les compétences en langue des pays du monde a de quoi démoraliser. Quelles sont les différentes raisons pouvant expliquer les difficultés des Français à apprendre des langues étrangères ?
Quelles sont les répercussions de cette situation ?
Les langues étrangères en France : chiffres et apprentissage
Le système d’éducation français prévoit l’apprentissage d’une première langue étrangère dès la maternelle, souvent l’anglais, et jusqu’à la fin du lycée au minimum. Une seconde langue vivante est généralement ajoutée en cours de scolarité, en 4e. Malgré ces dispositifs, les Français apparaissent toujours comme mauvais en langues étrangères et figurent souvent en queue de peloton dans les classements internationaux. Education First classait la France 37e sur 70 pays et 24e à l’échelle européenne, (soit la dernière de la classe) pour ses compétences en anglais. Elle fait partie des rares pays à stagner dans ses progrès en anglais.
Dire que les Français ne sont pas doués pour l’apprentissage des langues est pourtant un raccourci trop simple. On note une véritable différence avec la jeune génération ; elle possède un bien meilleur niveau que ses aînés et est plus ouverte à l’international.
Des raisons variées et pas toujours fondées
Plusieurs raisons pourraient expliquer les difficultés des Français face à l’apprentissage des langues étrangères.
« Cachez cette langue régionale que je ne saurais voir »
La France a par le passé réprimé l’usage des langues régionales en vue d’imposer le français comme langue nationale sur l’ensemble du territoire. Une prise de position qui n’a pas forcément favorisé l’ouverture vers l’extérieur et vers d’autres langues par la suite.
Un tournant notable s’est opéré durant la période de la Révolution. On se souviendra par exemple du texte de l’abbé Grégoire présenté à la Convention nationale le 4 juin 1794 et qui avait pour titre « Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française » (intitulé qui a depuis été remplacé par un autre, moins subversif « Notre langue et nos cœurs doivent être à l’unisson »). Le français était présenté comme l’unique moyen d’intégration à la nation française, mais aussi de sortir de l’obscurantisme.
L’obligation d’utiliser le français à l’école a aussi conduit à l’émergence de certaines humiliations. Au début du XXe siècle, les élèves surpris à parler le breton par exemple étaient punis. Ils devaient porter un sabot de bois autour du cou, qu’ils gardaient jusqu’à ce qu’ils puissent le transmettre à l’un de leurs camarades commettant la même erreur. Autre exemple, en Alsace, quiconque utilisait l’alsacien au sortir de la guerre était stigmatisé car cette langue régionale était associée à l’ennemi. Les Alsaciens étaient fortement encouragés à parler français à grand renfort de slogans comme “C’est chic de parler français”.
Par la suite, même si les langues régionales ont de nouveau eu droit de cité, le monolinguisme est resté la norme.
Le protectionnisme envers la langue française
Une autre raison pouvant expliquer que les Français sont mauvais en langues étrangères pourrait tenir à leur protectionnisme envers la langue française. On peut citer la loi Toubon qui limite la présence de l’anglais en entreprise et encadre, entre autres, la proportion de titres musicaux français devant être diffusés à la radio.
Le doublage presque systématique des films et programmes télévisuels étrangers est un autre exemple intéressant. Dans les pays scandinaves, que l’on cite souvent en exemple, une majorité de films est diffusée en version originale sous-titrée ce qui favorise l’immersion et l’apprentissage des langues étrangères.
Si les box TV offrent de plus en plus la possibilité de visionner les programmes en VO, force est de constater que ce geste n’est pas encore entré dans les mœurs, sauf chez les jeunes générations qui plébiscitent massivement la VO. Tout le monde n’a pas non plus le réflexe de se tourner vers internet et ses nombreux contenus disponibles.
La peur de faire des erreurs, un mal français
L’apprentissage des langues étrangères serait plus efficace si les Français arrivaient à se départir de leur peur de l’erreur (lathophobie), fortement ancrée culturellement. À l’école, nombreux sont ceux qui préfèrent se taire plutôt que de prendre le risque de faire une faute à l’oral comme mal prononcer un mot. Pourtant, les erreurs font partie intégrante de l’apprentissage des langues étrangères et permettent de progresser.
Selon Nicolas Tournadre, linguiste et polyglotte, « Les Français doutent parfois de leur capacité à apprendre des langues étrangères. L’existence de grands polyglottes de langue maternelle française montrent que ce cliché est totalement infondé […]
Or rien dans la grammaire, relativement complexe, du français ni dans sa phonologie ne constitue un handicap à l’apprentissage d’autres langues. La lathophobie et la peur de ne pouvoir prononcer certaines séquences phonotactiques (comme par exemple des noms slaves ou germaniques) est essentiellement due à la prédominance de l’écrit dans l’apprentissage. Le français dispose pourtant de nombreuses séquences complexes qui impliquent trois voire quatre consonnes de suite du type /str/, /rtr/, /rbr, /kstr/, /kskr/, /kskl/ comme dans les mots : structure, arthrose, arbre, extraordinaire, excroissance, exclamation, etc. A l’oral, ces séquences sont en fait encore plus variées, car les articles et les démonstratifs s’ils sont suivis de ‘e’ muets sont susceptibles de se coller au substantif. Ainsi des séquences comme /lskr/, /tspl/ ex. »l(e) script », cett(e) splendeur. ».
Le statut impérial et prestigieux de la langue française
Le français fait partie des rares langues à être parlées sur les 5 continents et occupe la 5e place du classement des langues les plus parlées au monde. Avec plus de 274 millions de francophones à travers le monde, elle constitue une véritable langue de prestige. Outre le chiffre grandissant des locuteurs français, ce prestige tient à plusieurs choses :
- Le français a un poids politique ; il est l’une des 6 langues officielles de l’ONU et de l’Unesco ;
- Le français s’épanouit en dehors de son berceau d’origine ; 32 États l’ont choisi comme langue officielle ;
- Une tradition littéraire et de nombreux d’ouvrages sont publiés en français.
Le prestige de la langue, associé au fait que le français a longtemps été l’une des langues de référence dans l’Histoire, participe au fait que les Français ont peut-être plus de difficultés à partir à la découverte d’autres langues. Et de fait, les Espagnols et les Britanniques connaissent des difficultés similaires alors que l’anglais et l’espagnol sont également des langues prestigieuses.
Une obsession des parents d’élèves
Si les Français ont un mauvais niveau en langues, ce serait aussi la faute de leurs parents. Nombreux sont ceux qui poussent, notamment à grands renforts de devoirs, leurs enfants à apprendre l’anglais car ils ont parfaitement saisi l’importance de cette langue en matière de perspectives d’emplois et d’opportunités. Des études ont cependant montré que si l’anglais est indispensable, il offre un accès très restreint à l’information dans une perspective mondiale (les contenus du web en anglais ne représentent plus que 26 % selon le relevé de l’Internet World Stats). En d’autres termes, ne parler ou ne connaître que l’anglais aujourd’hui, c’est être sous-informé. Et pour se différencier sur le marché de l’emploi, il sera primordial à l’avenir de maîtriser au minimum une autre langue vivante.
Le monolinguisme, un problème aux répercussions économique
Le monolinguisme pose véritablement problème en termes de compétitivité. Si la maîtrise de l’anglais est en bonne voie, les entreprises sont de plus en plus à la recherche de candidats maîtrisant d’autres langues vivantes. Pour l’heure, elles peinent à trouver ces profils multilingues sur le marché, ce qui constitue un frein à leur développement.
La France n’est pas la seule à être dans ce cas, la Grande-Bretagne fait elle aussi partie des nations ayant des difficultés à composer avec cette problématique linguistique.
Tout espoir n’est cependant pas perdu. De nombreuses pistes sont à explorer pour améliorer le niveau en langues des Français.
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