Dernier volet de notre série consacrée aux langues du Vatican. Après les langues parlées dans l’Etat du Vatican et après le statut du latin, on s’intéresse aux langues des trois derniers papes en exercice.
Comme nous l’avons vu dans nos précédents articles, le Vatican est sans doute l’Etat le plus multilingue en Europe. Ce multilinguisme est aussi illustré par le polyglottisme des papes les plus récents, surtout après le concile Vatican II (1962-1965) qui consacre l’avènement des langues vernaculaires dans la liturgie. Mais combien de langues doit parler un évêque pour devenir pape ? Il est vrai que le pape devrait être en mesure de communiquer à tous les catholiques du monde, car tout le monde sait qu’il est possible de toucher le cœur des gens en parlant leur langue maternelle.
Ainsi, il est intéressant de parcourir les biographies linguistiques des trois derniers papes et de passer en revue les langues parlées dans des circonstances bien précises.
Jean Paul II, l’hyperpolyglotte
Jean Paul II a été un des Papes les plus admirés et les plus aimés jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit du troisième pontificat le plus long avec 26 ans après celui de Saint Pierre (34 ans), et après Pie IX, 31 ans. Il est élu le 16 octobre 1978 et cela suscite beaucoup de surprise parmi les croyants du monde entier. Il s’agit d’un des candidats les moins populaires au début du conclave peut-être parce qu’il est le premier pape non italien depuis le pape hollandais Adrien VI en 1522. Cependant, quelque chose de très important joue en sa faveur : les langues. Ceci peut assurément être un atout pour un chef d’état qui règne sur tous les catholiques du monde. En effet, Jean Paul II est connu comme le pape hyperpolyglotte par excellence, le premier de l’histoire. Les 45 papes qui l’ont précédé étaient italiens, on peut donc supposer que les langues majoritairement utilisées étaient l’italien et le latin. Pour communiquer au monde entier le latin était assurément la langue principale. Dans ce sens, Jean Paul II apporte au Vatican une nouvelle politique pour laisser transparaitre l’universalisme de l’Eglise à travers les langues modernes, ce qui en fait un des papes les plus médiatisés de l’histoire. Et, de ce point de vue, le polyglottisme affiché de Jean-Paul II aurait sans doute été impossible sans Vatican II et peut s’analyser comme un effet direct du concile.
Karol Wojtyla est né à Wadowice en Pologne et, à l’âge de 18 ans il décide de faire des études de lettres en se spécialisant en philologie polonaise à l’Université Jagellonne : il avait déjà à l’époque un grand intérêt pour les langues. Karol commence par la l’allemand dès le collège, une langue qu’il maitrise bien tout au long de sa vie. Ensuite, à 14 ans, il commence aussi l’apprentissage du grec ancien, cela est dû à son intérêt particulier pour le théâtre. Il décide ensuite, en octobre 1942, d’intégrer un séminaire clandestin car le nazisme interdisait alors tout type de rapprochement avec le christianisme. Il entreprend ses études de théologie et, lorsqu’il il est ordonné prêtre le 1er novembre 1946, à 26 ans, le cardinal Sapieha décide de l’envoyer à Rome pour compléter ses études. Les cours de théologie de l’université Angelicum de Rome étaient tous dispensés en latin. Ainsi, pendant son parcours d’études à Rome il a dû apprendre le latin mais aussi l’italien. Il reste à Rome pendant deux ans pour compléter sa thèse. Non seulement il saisit l’occasion pour apprendre l’italien pendant son séjour, mais il réside aussi dans un collège belge où il aura l’occasion d’apprendre le français (il avait déjà pris des cours particuliers de français pendant sa licence), une langue dont il avait besoin pour ses recherches de thèse. Il va être aussi obligé d’apprendre l’espagnol pour ses recherches de thèse et perfectionner son allemand pour mieux comprendre Max Scheler (philosophe et sociologue allemand) qui constitue le sujet de sa thèse, achevée en 1953.
Une fois obtenu son doctorat, il occupe très rapidement un poste en tant que professeur de théologie morale et éthique de la faculté de théologie de l’Université Jagellonne mais aussi professeur de d’éthique à l’Université Catholique de Lublin.
Des conversations en 10 langues, des vœux en 62
Le 11 octobre 1962, il participe à la première session du concile de Vatican II. Au cours de ce concile Karol Wojtyla se fait tout de suite remarquer grâce à son polyglottisme : il fait ses interventions en français, en anglais, en allemand, en polonais, en russe, en ukrainien, en espagnol, en italien et en latin. C’est une des raisons pour lesquelles il devient, pendant le concile, progressivement le porte-parole de la délégation polonaise.
Une fois élu pape, à 58 ans, en 1978, la première déclaration qu’il fait est en italien, un bref discours improvisé. Et il prie la foule de le corriger s’il fait des erreurs avec cette phrase restée célèbre : « se mi sbaglio mi corriggerete ».
A la tête du Saint-Siège, on sait qu’il s’y exprime dans toutes les langues qu’il connait. Il parle parfois latin, qu’il maîtrise très bien et qu’il a aussi enseigné dans les écoles lorsqu’il était jeune sacerdoce. Il utilise le latin surtout lors des synodes des évêques, car comme nous avons vu dans notre précédent article est peu pratiqué au Vatican. Le soir, à table, il parle italien car ses secrétaires ne parlent pas polonais. Il peut tenir des conversations en 10 langues. Les langues qu’il utilise le plus souvent sont tout de même l’italien et le polonais —sa langue maternelle. Mais il a aussi une bonne connaissance du russe, du portugais et du tchèque.
Pendant son pontificat il visite 129 pays sur une série de 104 voyages à l’extérieur de l’Italie. Quand il le peut et dès qu’il le peut, il parle la langue du pays sinon il utilise majoritairement l’italien ou bien l’anglais.
Jean-Paul II adresse ses vœux Urbi et Orbi en 62 langues. Evidemment, bien qu’il soit très doué en langues il ne les connait pas toutes. Selon Hervé Yannou, ancien correspondant du Figaro au Vatican, raconte cette savoureuse anecdote :
« souvent il s’agissait de langues peu connues, des dialectes même. Il lisait les vœux qui étaient écris en API (alphabet phonétique international), ce qu’il lui permettait de bien prononcer ces phrases. Il a été le premier pape à adopter cette politique, pour donner cette image d’universalisme que l’Eglise devrait transmettre. Benoit XVI, lui, était plus traditionnel et les vœux étaient exprimés dans les langues les plus populaires ».
Benoit XVI, l’attachement au latin
Le pontificat de Benoit XVI commence le 19 avril 2005 et s’achève le 28 février 2013. Un pontificat qui a donc duré seulement 8 ans suite à sa démission. Il n’a pas été si célèbre que son prédécesseur pour son polyglottisme, mais il s’agit tout de même d’un pape qui a marqué une ère importante pour l’Eglise catholique avec sa volonté de retour aux traditions. Benoit XVI est connu aussi pour avoir été un pape qui a eu le courage d’être impopulaire et de prendre des décisions contre l’opinion publique. Son excellence académique est remarquable et tout au long de son parcours il le montre aussi à travers son intérêt pour différentes langues.
Joseph Ratzinger est né le 16 avril 1927 à Marktl, un village de Haute-Bavière peu éloigné de la frontière autrichienne. A l’âge de 14 ans il est enrôlé de force dans les jeunesses hitlériennes et il est libéré après le suicide d’Hitler : il a alors 18 ans. Il a toujours su qu’il voulait devenir prêtre : cela est peut-être dû au fait que la prêtrise était commune dans sa famille car son grand-oncle Georg Ratzinger était un homme politique et un prêtre.
Pas de voyages à l’étranger pour Joseph Ratzinger pendant ses études pour favoriser l’apprentissage de ses langues. Toutes ses études de théologie et de philosophie on été faites en Allemagne. Mais nous savons qu’il a commencé l’apprentissage du grec ancien et du latin dès le collège. Il a toujours été fasciné par la France et la culture française, c’est pour cela que pendant ses études il s’imprègne d’auteurs français comme Paul Claudel, Georges Bernanos et François Mauriac. Il est très motivé pour apprendre le français, langue qu’il finit par très bien maîtriser et qu’il utilise dans tous les contextes diplomatiques (discours au Conseil d’Europe, discours à l’ONU, rencontres aves des ambassadeurs…) une fois pape, comme le veut la tradition.
Il est ordonné prêtre en 1951 à l’âge de 24 ans en même temps que son frère Georg. En 1958 il est nommé professeur en dogmatique et théologie fondamentale à l’Université de Freising et, ensuite, professeur de théologie fondamentale à l’Université de Bonn. Quelques années plus tard il enseigne à l’Université de Münster la théologie dogmatique et l’histoire des dogmes.
Il participe lui aussi, au concile œcuménique Vatican II. Il aidera un cardinal allemand à préparer ses interventions.
Benoit XVI a été un pape doctrinal étant donné qu’il a réécrit le catéchisme de l’église universel sous conseil de son grand estimateur Jean Paul II. Il a écrit 3 livres sur Jésus. Avant de devenir pape, Joseph Ratzinger a été le collaborateur de Jean Paul II, ils se réunissaient toutes les semaines pour prendre des décisions importantes car Jean Paul II aimait avoir l’opinion d’un expert de la doctrine chrétienne comme Joseph Ratzinger.
Benoît XVI est connu aussi pour son attachement à la langue latine. Sa première homélie devant les cardinaux a été prononcée en latin, au contraire de son prédécesseur qui l’avait prononcé en italien. Son ultime homélie a été aussi prononcée en latin :
« Conscientia mea iterum atque iterum coram Deo explorata ad cognitionem certam perveni vires meas ingravescente aetate non iam aptas esse ad munus Petrinum aeque administrandum. »
En français :
« Après avoir examiné ma conscience devant Dieu à diverses reprises, je suis parvenu à la certitude que mes forces, vu l’avancement de mon âge, ne me permettent plus d’exercer le ministère pétrinien.»
Il y a eu d’autres épisodes dans lequel Benoît XVI a montré son attachement au latin, en particulier le premier jour du Carême 2011, et il a rappelé à ceux qui s’opposent au latin, y compris à la Curie, son amour pour cette langue. Il a célébré plusieurs fois l’Eucharistie en latin, et pour cela il a été accusé de tourner le dos aux fidèles.
En ce qui concerne l’italien, Joseph Ratzinger avait commencé son apprentissage lors du concile Vatican II, et lorsqu’il a été élu Pape il s’est imprégné encore plus ce qui l’a amené à bien le maîtriser.
Pendant son pontificat il apprend aussi l’espagnol et nous l’avons entendu s’exprimer en cette langue seulement en Amérique latine et en Espagne.
Sous le pontificat de Benoît XVI la politique linguistique du Vatican était sans doute plus traditionnelle par rapport à Jean Paul II surtout pour sa volonté d’utiliser le latin dans des circonstances précises. Pendant son pontificat il a promu la messe en latin avec un ancien rite qui était utilisé avant la réforme liturgique opérée par Paul VI à la fin des années 1960 dans le contexte du concile Vatican II.
Au contraire de son prédécesseur, Benoit XVI a été un communicant médiocre qui n’a pas réussi à toucher la population malgré tous ses efforts. Son compte Twitter, par exemple, n’a jamais été très populaire.
François, le sud-américain
François à l’inverse de son prédécesseur est certainement un pape très populaire, et le premier pape d’Amérique du Sud. Au contraire de son prédécesseur, son côté pastoral est très apprécié et l’aide à se rapprocher des gens malgré son imperfection en langues.
Jorge Mario Bergoglio est né en 1936 à Buenos Aires, de parents immigrés italiens mais sa langue maternelle est bien l’espagnol. Ses parents n’étaient pas italophones, donc il n’a pas appris l’italien dès sa petite enfance. Mais a cependant la curiosité d’apprendre l’italien au cours de sa formation pour se rapprocher notamment de ses origines.
Avant d’entamer ses études en théologie, Jorge Mario étudie à la Escuela Nacional de Education Técnica où il obtient un diplôme de technicien en chimie. Mais, en 1953, il a une révélation qui le pousse à entrer dans les ordres.
Il commence sa formation tout d’abord au Chili et ensuite à Buenos Aires, à l’Université jésuite del Salvador pour ses études en théologie, et en parallèle, en philosophie. Il apprend le grec ancien mais surtout le latin. Il est ordonné prêtre en 1969, à l’âge de 33 ans. Pour terminer sa thèse il passe une brève période en Allemagne où il aura l’occasion d’apprendre l’allemand mais il reviendra bientôt en Argentine, plus précisément à Cordoba.
Il a été élu Pape le 13 mars 2013 et, depuis son élection, il a commencé à apprendre l’anglais. Pour l’instant on l’a rarement entendu parler anglais étant donné que pendant toutes ses rencontres et audiences il s’exprime en italien, ce qui présuppose qu’il na pas encore un niveau d’anglais courant. Mais avant son voyage aux Etats-Unis, en septembre 2016, il a prit des cours intensifs d’anglais et il s’est entraîné pour prononcer le discours au congrès américain en anglais. De même que pour les journées mondiales de la jeunesse (JMJ) qui se sont déroulés au Brésil en 2012 il a amélioré les quelques notions de portugais qu’il avait déjà.
Quand il voyage, il essaye de parler la langue de la population à laquelle il s’adresse (il prépare d’avance quelques phrases dans la langue du pays), mais ensuite il parle essentiellement en italien.
A l’Angelus ou durant les célébrations, pendant les visites officielles ou les rencontres avec des ambassadeurs et le secrétaire des Nations-Unis, il parle en italien, que les Italiens appellent souvent « itaniolo », car très marqué par l’accent espagnol. La journaliste du Monde des religions Bénédicte Lutaud explique :
« Au Vatican, le pape donne une audience générale, place Saint-Pierre, tous les mercredis, devant des dizaines de milliers de fidèles. Il prononce alors une catéchèse en italien. Ensuite, plusieurs prêtres se succèdent pour lire à voix haute un résumé de la catéchèse du pape dans d’autres langues : en français, en anglais, en allemand, en portugais, en arabe et en polonais. Un résumé de la catéchèse est aussi lu en espagnol, mais par le pape lui même : c’est sa langue maternelle ! La version italienne est souvent plus complète : il y a des improvisations, des petites blagues, etc. Lors d’autres discours formels ou durant ses homélies, le pape François reste généralement en italien. Cependant, en fonction du public (devant des associations de laïcs, des groupes religieux), lorsqu’il veut se sentir plus libre pour improviser, il passe en espagnol. »
François a pris position sur la liturgie en latin en allant contre l’opinion de son prédécesseur. Il a dit : « Nous rendons grâce au Seigneur pour ce qu’il a fait dans son Église durant ces 50 années de réforme liturgique. C’était vraiment un geste courageux pour l’Église que de se rapprocher du peuple de Dieu afin que ce peuple soit en mesure de bien comprendre ce qu’il fait. C’est important pour nous, de suivre la messe de cette façon. Il n’est pas possible de revenir en arrière. Nous devons toujours aller de l’avant. »
Des trois derniers papes, François semble le moins polyglotte, là où Jean Paul II mettait en scène son plurilinguisme et en faisait un phénomène médiatique. Cependant, même si l’Eglise catholique traverse une crise importante et que l’opposition se fait de plus en plus forte au Vatican, sa popularité parmi les croyants n’est pas entamée.
Sara Jaber
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