L’engouement pour la Grèce est indéniable. C’est un point de chute touristique de choix où les amateurs d’histoire, de gastronomie, de paysages variés entre mer et montagne trouvent leur compte. Il est cependant rare de rencontrer des apprenants en grec moderne. Cela s’explique principalement par le fait que cette langue est restreinte géographiquement parlant — en dehors du territoire grec, elle est parlée à Chypre et par la diaspora. De plus, les Grecs maîtrisent souvent l’anglais dans les destinations les plus prisées.
« Je crois profondément — et cette croyance est bien plus profonde en moi que toute certitude fondée sur la raison — que, de quelque manière qu’on l’examine, la présence de l’hellénisme au cours de tant de siècles sur les terres de l’Egée y a imprimé une véritable orthographe, où chaque oméga, chaque epsilon, chaque iota n’est que la transcription d’un petit golfe, d’une légère pente vers la mer, d’un à-pic de rocher au-dessus de la courbe arrondie d’une coupe de bateau […]. » Odysséas Elýtis, O mikros naytilos, Ikaros, 1986.
Paradoxalement, outre Grèce, c’est le grec ancien que l’on enseigne et défend à de multiples titres : perçu comme le creuset originel et menacé des cultures européennes, il permet une meilleure compréhension de nos langues et littératures. La fécondité de la culture grecque antique n’est pas à prouver et se poursuit aujourd’hui : en témoignent les succès internationaux que sont Circé de Madeline Miller, ou, pour sortir du cadre de la fiction, La Langue géniale d’Andrea Marcolongo. Sans avoir la prétention de convaincre avec autant d’art et de sensibilité que cette dernière, nous aimerions, à notre tour, présenter quelques arguments en faveur de l’apprentissage du grec moderne.
Vous pourriez aimer parler la langue des Hellènes si…
Vous recherchez une langue empreinte d’histoire
L’histoire du grec moderne est passionnante et relativement facile à déterminer. Malgré une évolution constante de la langue, certains traits de l’époque antique, puis de l’ère chrétienne, s’y trouvent encore fortement représentés. Comme le soulignait le poète Odysséas Elytis, il y a un certain charme à employer, même dans la conversation la plus courante, des mots d’une grande ancienneté : « C’est très émouvant d’écrire les mots ouranos, thalassa, selini comme les écrivaient Sapho et Pindare et comme le peuple continue à les prononcer aujourd’hui. » Si vous avez déjà étudié un peu de grec ancien (voire byzantin !), vous pouvez ainsi envisager le grec moderne comme un prolongement de votre parcours.
En outre, l’histoire de la langue grecque est très ancrée dans le domaine politique : avant la réforme de 1975, la Grèce était divisée entre la katharévousa (littéralement « la langue purifiée ») et le démotique (la langue du peuple.) La première se voulait fidèle à l’idée d’une langue grecque originelle, sans ingérences turques ou italiennes par exemple. Difficile à comprendre, elle a longtemps été la langue administrative du pays, accentuant certaines inégalités et hiérarchies sociales. La seconde, plus commune et plus accessible, a permis à de nombreux auteurs grecs de porter un message militant, contre le passéisme et le conservatisme. C’est elle qui est parlée aujourd’hui en Grèce. Depuis 1981, le grec moderne fait partie des langues officielles de l’Union européenne.
Vous souhaitez sortir des sentiers battus
Le grec est une langue plutôt rare, qui vous permettra de vous ouvrir à des horizons inédits (et cela ne s’arrête pas à un nouvel alphabet !) En vous initiant à cette langue, vous aurez plus de chances de découvrir une Grèce « authentique », loin des destinations touristiques chères et surpeuplées. C’est une occasion de s’ouvrir à un peuple très chaleureux et souvent prêt à vous conseiller pour vivre un séjour unique. Vous pourriez faire de belles rencontres.
Une langue, c’est aussi une compétence potentiellement prisée par les employeurs : maîtriser ou du moins avoir un bon niveau en grec moderne pourrait rendre votre CV plus attrayant et vous démarquer d’autres candidats à un poste. En Grèce, le marché de l’emploi est difficile, et le taux de chômage assez élevé ; néanmoins, de nombreuses entreprises françaises y sont implantées. Certaines possibilités d’enseignement du français s’offrent également à des francophones connaissant le grec moderne, et les secteurs comme le tourisme et le commerce sont très accessibles.
Vous avez à cœur de respecter les locaux
Que vous envisagiez de vivre en Grèce pour un séjour touristique ou à long-terme, connaître un peu de grec vous permettra entre autres de faciliter les démarches pour trouver un logement. Attention cependant ! Avec la crise économique de 2007 et l’épidémie de Covid 19, la Grèce s’en remet beaucoup aux recettes apportées par le tourisme de masse, favorisant le logement de courte durée au détriment de ses habitants dont le salaire est peu élevé. Ainsi, le gouvernement a mis en place des avantages fiscaux intéressants pour les étrangers (notamment les retraités), mais qui exploitent la misère économique du pays.
Certaines plateformes de logement comme AirBnb causent aussi de grands torts aux locaux : explosion du prix de l’immobilier, expulsion de locataires lors du rachat des propriétés par de grands groupes, etc… Pour ne pas tomber dans cet écueil, vous pourriez songer à des alternatives plus respectueuses et plus proches des Grecs, en vous renseignant sur des sites dédiés (nous vous suggérons https://www.greeka.com/) Gîtes, homestay, couch-surfing et guest houses sont aussi de très bonnes idées pour des voyageurs à petit budget (étudiants par exemple), mais dans les zones plus rurales, parler grec pourrait s’avérer utile.
Apprendre la langue est aussi une marque d’ouverture à l’autre, et peut être la plus belle preuve d’un intérêt sain et respectueux pour le pays d’accueil.
Vous êtes un fin gourmet
La cuisine grecque régale les papilles des amateurs de saveurs méditerranéennes. Et quoi de mieux qu’un tour culinaire de la Grèce loin des restaurants réservés aux touristes, qui sont plus chers ou adaptent leurs plats en fonction des goûts étrangers ? Vous connaissez sans doute la moussaka ou les souvlakis, victimes de leur succès ; mais avez-vous songé aux…
- Soutzoukakia (boulettes de viande au cumin, à l’ail et à la cannelle, bouillies ou frites dans de la sauce tomate et de l’huile d’olive)
- Kokkinisto (viande marinée dans de la sauce tomate, parfois du jus d’orange et de l’ouzo)
- Kolokythokeftedes (beignets de courgettes râpées)
Commander un petit spanakopita (feuilleté aux épinards) en grec peut toujours faire plaisir ! Et si vous souhaitez cuisiner vos propres plats sur place, parler quelques mots de grec pourrait vous être utile au marché. En effet, les meilleurs produits frais s’y trouvent (et à un prix beaucoup plus raisonnable qu’en France), tandis que les supermarchés regorgent d’articles chers et importés.
Avis aux œnologues : les cépages comme le Xinomavro, le Néméa ou le Moscofilero sont typiquement grecs et très appréciés. Les terres volcaniques de Santorin offrent aussi des conditions uniques pour la culture de la vigne.
Vous êtes sensible à la poésie
La littérature grecque accorde à la poésie une importance toute particulière, et cela pour plusieurs raisons : c’est une langue sonore et tonale, mais aussi très créative, notamment lorsqu’il s’agit de forger de nouveaux mots. Depuis l’Antiquité, elle repose sur des principes de suffixation et de composition qui permettent une large palette d’expressions, à savourer en version originale. Quelques exemples :
- Le mot αλήθεια (alithia), que l’on peut littéralement traduire par « contre l’oubli » ou « sans oubli », est une belle manière grecque de dire « vérité ».
- Le mot ξάστερος (xasteros), bien plus moderne, désigne une nuit claire et remplie d’étoiles.
- Λεξιθηρία (lexithiria), littéralement « chasse aux mots », renvoie à la recherche du mot rare.
Il n’est donc pas étonnant que certains des plus grands écrivains grecs se soient distingués pour leurs œuvres en vers :
- Odysséas Elýtis (1911-1996), proche de Picasso, Matisse, Camus et Char, évoque la douceur des îles grecques dans ses poèmes aux parfums d’embruns et de soleil. Son grand poème Άξιον Εστί (Axion Esti), pour lequel il a reçu le prix Nobel de littérature en 1979, est une ode à la liberté du peuple grec. Il a également adapté et recomposé en grec moderne les poèmes de Sappho.
« La nature crée ses propres parentés, parfois bien plus puissantes que celles que nous forge le sang. Deux mille cinq cents ans en arrière, à Mytilène, je crois voir Sappho comme une cousine lointaine avec qui je jouais dans les mêmes jardins, autour des mêmes grenadiers, au-dessus des mêmes puits. A peine plus âgée que moi, brune, avec des fleurs dans les cheveux et un cahier plein de poèmes qu’elle ne m’a jamais permis de toucher.
Il est vrai que nous avons vécu sur la même île. Avec cette même sensation de la nature qui depuis les temps anciens jusqu’à aujourd’hui continue à suivre les enfants d’Eolie. Mais, avant tout, nous avons travaillé – chacun à sa mesure – avec les mêmes notions, pour ne pas dire avec les mêmes mots : avec le ciel et la mer, le soleil et la lune, les végétaux et les jeunes filles, l’amour.
Ne m’en veuillez pas si je parle d’elle comme d’une contemporaine. Dans la poésie comme dans les rêves, personne ne vieillit. » (Sappho, Ikaros, 1985 ; traduction par Angélique Ionatos.
- Yánnis Rítsos (1909-1990), militant communiste persécuté lors de la Seconde guerre mondiale puis lors de la dictature des colonels, est notamment connu pour son chant Ρωμιοσύνη (Romiosini, « Grécité »). Il s’agit d’une épopée moderne mettant en scène non pas un Achille ou un Ulysse, mais un peuple grec souffrant et révolté.
- Georges Séféris (1900-1971), poète de renommée internationale, écrit dans une langue qui se veut accessible, sobre et dépouillée (contre la katharévousa évoquée plus haut) :
« Je ne demande rien d’autre que de parler simplement, que cette grâce me soit accordée. Notre chant, nous l’avons surchargé de tant de musiques / Qu’il s’est englouti peu à peu / Et nous avons tellement enjolivé notre art / Que son visage s’est noyé dans les dorures. » Journal de bord II, Melchior Editions Suisse, 1944
Originaire de Smyrne, l’actuelle Izmir, il parlait aussi couramment le français et l’anglais grâce à ses longs séjours à l’étranger.
- Dans une veine plus surréaliste, Níkos Gátsos (1911-1992) a publié Αμοργός (Amorgós), poème en écriture automatique.
Si vous préférez la prose, intéressez-vous à l’œuvre de Níkos Kavvadías ou encore d’Alexandre Papadiamándis, tous deux grands romanciers de la Grèce moderne.
Enfin, il est bon de savoir que les Grecs aiment mettre leurs poèmes en musique. Vous pourriez par exemple apprécier l’œuvre de Theodorakis, qui a adapté l’œuvre d’Elýtis et de Séféris. Il ne s’est d’ailleurs pas contenté de la Grèce, puisqu’il a aussi fait chanter certains poèmes de Neruda. En France, Angélique Ionatos s’est également illustrée dans ce style.
Assimil vous accompagne…
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