Lorsque l’on apprend une nouvelle langue, des aires cérébrales bien particulières s’activent dans notre cerveau. D’un point de vue cognitif, quel processus permet de comprendre, apprendre, mémoriser, parler, écrire une nouvelle langue ? Comment le cerveau assimile ces nouvelles connaissances ? Ces capacités d’apprentissage des langues et de mémorisation sont-elles illimitées ?
Cerveau et apprentissage d’une langue : une question d’aire
Si l’apprentissage d’une langue nouvelle stimule et sollicite l’ensemble de nos capacités de concentration, d’écoute et de réflexion, d’un point de vue cérébral, deux aires jouent un rôle essentiel. L’aire de Wernicke permet à un individu de comprendre les langues, tandis que l’aire de Broca est utilisée pour s’exprimer à l’oral. Ces deux régions du cerveau ont un fonctionnement bien distinct : tandis que l’aire de Broca « compartimente » et dissocie chaque langue, l’aire de Wernicke ne fait pas de distinction. Seul le cerveau des enfants élevés dans un environnement bilingue ou multilingue diffère légèrement, puisque l’aire de Broca ne fait pas de différenciation entre les langues apprises simultanément, ce qui explique pourquoi ils passent aisément d’une langue à l’autre.
Si l’on considère l’existence de ces deux aires, on comprend mieux pourquoi certaines personnes essayant d’apprendre une langue ou issues d’une famille parlant une autre langue que le français comprennent facilement ce qu’ils entendent, mais éprouvent des difficultés à s’exprimer à l’oral. Seule solution pour s’améliorer : faire travailler son aire de Broca et dialoguer !
Le fonctionnement du cerveau face à l’apprentissage des langues explique d’ailleurs pourquoi on ne peut pas apprendre une langue comme on apprend une leçon d’histoire, par exemple. Le cerveau a besoin de stimuli indiquant que l’on est dans un processus d’apprentissage linguistique, à l’aide de dialogues oraux, de mises en situation ou de jeux avec les mots, pour activer les aires dédiées aux langues. C’est pour cette raison qu’apprendre une liste de mots comme on apprendrait une liste de dates s’avère bien souvent inefficace sur la durée et fastidieux. Pour apprendre efficacement et durablement, la meilleure méthode reste l’immersion, soit en voyageant à l’étranger, soit en discutant avec des personnes maîtrisant la langue.
Apprendre une langue… et la mémoriser
La mémoire joue un rôle fondamental au moment d’apprendre une langue. En effet, si l’on ne dispose pas du répertoire grammatical et syntaxique nécessaire, impossible de comprendre, de parler ou d’écrire dans une langue étrangère.
Les informations mémorisées sont appelées « des traces mnésiques ». Lors de l’apprentissage, le cerveau effectue plusieurs étapes :
- l’encodage, pendant lequel se forme les traces mnésiques ;
- la consolidation, ou stockage de ces informations ;
- la récupération, au moment du rappel et de la reconnaissance des traces mnésiques.
Cette capacité à apprendre de nouvelles informations et de nouveaux mots n’a pas de limite dans le temps. En théorie, on peut donc apprendre un nouveau langage à tout âge et s’en souvenir à vie.
Dans les faits, on distingue plusieurs types de mémoire. La mémoire à court terme sert à retenir une information pendant quelques minutes voire quelques jours, pour un usage immédiat. La mémoire à long terme permet quant à elle de retenir des informations sur la durée ; c’est elle qui est utilisée au moment d’acquérir une langue. La mémoire à long terme se divise en plusieurs sous-catégories :
- la mémoire procédurale ou mémoire des habitudes qui permet d’assimiler la syntaxe ;
- la mémoire sémantique qui sert à enregistrer des connaissances générales et culturelles ;
- la mémoire épisodique ou personnelle, unique pour chacun d’entre nous.
C’est la mémoire sémantique qui permet au cerveau d’apprendre une langue, de se constituer un lexique et de reconnaître les mots même lorsqu’ils sont déformés ou prononcés avec un accent particulier. Ce répertoire lexical, qui se construit dans l’aire de Wernicke, peut être enrichi à l’infini à condition d’être régulièrement exploité.
Aucun cerveau n’est donc plus apte à apprendre une langue qu’un autre : pour bien mémoriser une langue, il faut simplement de la patience, une pratique régulière et des interlocuteurs pour concrétiser vos acquis et vous aider à vous améliorer !
Comprendre le langage : une cartographie du cerveau pour y voir plus clair
La revue Nature a publié, le 27 avril dernier, les études d’un groupe de scientifiques concernant la compréhension de la langue, qui constituent une grande première. En établissant une cartographie en 3D du cerveau, ces chercheurs ont apporté de nombreuses avancées concernant le fonctionnement cérébral au moment d’apprendre une langue, et de la comprendre. Les résultats de ces recherches démontrent que le langage ne se limite pas à certaines zones précises du cerveau et qu’il ne se développe pas uniquement dans l’hémisphère gauche, comme on l’a longtemps cru. Plusieurs régions, parfois réparties dans des zones très éloignées les unes des autres, sont sollicitées en fonction des mots entendus.
Le dispositif mis en place
Pour mener à bien cette étude, Alex Huth, auteur principal du projet et ses collaborateurs, ont relié sept participants à un IRM fonctionnel afin de mesurer le flux sanguin de leur cerveau et l’activité de leurs neurones. Ils leur ont ensuite demandé d’écouter des contes diffusés à la radio afin d’observer leur activité cérébrale et de la retranscrire sur des cartes. De cette manière, les scientifiques ont pu détecter quel mot sollicitait quelle zone. Cet ensemble de données, rassemblées dans un modèle statistique, a permis aux chercheurs de Berkeley de créer un véritable atlas du cerveau en 3 dimensions, figurant les zones activées par tous les participants à l’écoute des mêmes mots.
Des résultats qui bouleversent les savoirs établis
Cette étude a permis de découvrir que les mots déclenchent plus d’une centaine de zones distinctes, parfois communes à tous les participants. Chaque mot correspond à un réseau de connexions qui représenterait sa signification. Par exemple, le mot « victime » déclenche des connexions dans le côté gauche du cerveau, au-dessus de l’oreille, tout comme les mots « tuer », « condamner » ou « assassiner ». Moins sinistre, à droite au niveau du sommet du crâne, on trouve la zone du cerveau activée par les mots « femme », « enfant », « mari », parents » et tous ceux liés à la famille.
Phénomène édifiant dans les résultats obtenus : les cartes cérébrales obtenues étaient similaires pour chaque participant. On peut donc en déduire que le sens des mots est organisé de la même manière d’un cerveau à l’autre.
Un aperçu des futures innovations possibles
Avec cette étude, les chercheurs américains ont ouvert la porte à de nombreuses découvertes. Pour l’heure, il est nécessaire d’étayer ces trouvailles en étendant l’étude à un plus grand nombre de personnes, et parlant d’autres langues que l’anglais. À terme, ces recherches pourraient permettre de percer les mystères de l’apprentissage d’une langue et de sa compréhension, et de décrypter des troubles comme l’autisme ou la dyslexie.
Si l’anatomie du cerveau est aujourd’hui bien connue, les connexions entre ses différentes zones, l’activation de ces combinaisons restent en partie un mystère. L’avenir devrait permettre de préciser et de compléter cette ébauche d’atlas cérébral. Deviner le mot auquel une personne muette pense uniquement en observant son activité cérébrale, perfectionner le discours pour que ses mots atteignent les bonnes aires cérébrales de son auditoire : les possibilités sont immenses… et à surveiller de près.
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