Le directeur du marketing des éditions Assimil s’entretient avec François-Xavier Izenic pour Stratégos, la revue des stratégies Tourisme-voyage-loisirs.

Comment s’est comporté le marché de l’édition en 2012 ?
Le marché était plutôt stable depuis cinq ans mais on a vécu une année électorale qui a eu un impact négatif sur les ventes. Ces années-là, il y a toujours un fléchissement du trafic en librairie entre mars et mai. 2012 a également été une année d’augmentation de la TVA qui est passée de 5,5 à 7 % puis a été rétablie à 5,5 % ! Ce qui s’est traduit par une augmentation des prix publics chez un certain nombre d’éditeurs dont Assimil, pour aider les libraires, lesquels sont les plus à plaindre dans le contexte actuel. Le résultat, c’est un recul du marché de 1,4 % en valeur et de 2,9 % en volume. Au final, c’est vraiment le canal internet qui progresse depuis quelques années.

Cela vous inquiète-t-il ?
La faillite de Virgin est certes une mauvaise nouvelle pour le disque mais aussi pour le livre car les deux se soutiennent et se nourrissent. Il faudrait qu’on communique davantage sur le prix unique du livre institué par Jack Lang en 1981 car le public a la croyance qu’il va acheter moins cher ses livres sur internet qu’en librairie, ce qui n’est pas le cas. Qu’on soit un très gros distributeur ou un petit, le prix est toujours le même. Cela permet de conserver un écosystème et une diversité d’acteurs.

Face à ces menaces, comment les éditeurs réagissent-ils ?
Les éditeurs ont désormais une vraie réflexion produit. Le livre se fait beaucoup plus objet, c’est une façon de lutter contre la numérisation constante. Attention,  ce n’est pas un combat au terme duquel il y aura un vainqueur et un vaincu car les deux, livre papier et livre numérique, vont cohabiter. Mais si on veut acheter un livre aujourd’hui, il faut qu’il soit encore plus livre qu’avant, et non pas livre à demi.

Quelle est l’activité des éditions Assimil ?
Nous sommes un éditeur de langues et nous resterons toujours un éditeur de langues car c’est le cœur de l’activité. Notre métier, c’est l’auto-apprentissage des langues, et ce depuis bientôt 85 ans. Les fondateurs ont essayé de décliner la formule de notre « méthode sans peine » à d’autres activités que les langues et cela n’a pas pris.

Quels sont les fondamentaux économiques de l’entreprise ?
Notre chiffre d’affaires est de 6 millions d’euros pour une quarantaine de collaborateurs. L’exportation représente un tiers de notre activité. Nous couvrons entre 80 et 100 langues, que l’on décline en plusieurs centaines de produits. Nous avons vocation à avoir un catalogue profond. Les langues majeures représentent le gros du chiffre d’affaires. Dix langues du catalogue font 80 % du CA avec une prédominance évidemment de l’anglais. Mais une langue un peu moins parlée peut aussi trouver sa rentabilité. On est distribué dans 800 points de vente environ, sachant qu’en France il existe environ 10 000 « endroits » où l’on peut acheter des livres.

Rappelez-nous le concept de votre méthode sans peine ?
On a une histoire vieille de près de 85 ans puisque la société est née en 1929. L’idée du créateur était géniale : l’apprentissage des langues par l’assimilation (la méthode intuitive), qui ne doit rien au « par cœur ». Il avait pensé alors que les voyages allaient se développer et qu’on allait avoir de plus en plus besoin de parler les langues étrangères. Le succès a été phénoménal. La méthode a un peu évolué mais elle reste fondamentalement la même.

Si la méthode n’a pas évolué, Assimil ne souffre-t-il pas d’une image un peu ringarde ?
On doit évoluer, c’est certain. On a une notoriété importante sur une population qui va de 40 à 90 ans mais en-dessous, c’est plus compliqué. Peut-être n’a-t-on pas développé les produits et les gammes qui s’adressent suffisamment à cette classe d’âge. On a donc une réserve de prescripteurs énorme, c’est un vrai défi pour nous ! La méthode n’est pas à remettre en question, en revanche elle se déploie en 100 leçons, ce qui est peut-être un peu copieux pour le monde contemporain. Par ailleurs, nous devons nous appuyer sur l’humour un peu décalé qui a toujours été la force d’Assimil.

En dehors de l’apprentissage des langues, quelles sont vos autres activités ?
Une seule : les guides de conversation à l’attention du voyageur, du globe-trotteur. Ce segment est sans doute le plus concurrencé aujourd’hui. C’est un métier à la confluence du guide du tourisme et de la méthode de langues. Les guides de conversation ont changé en raison du boom des voyages de courte durée et des voyages achetés à la dernière minute. Il faut donc que la prise en main soit rapide, pratique et s’inscrive dans les vraies situations du voyage. Et le facteur prix est essentiel. C’est la raison pour laquelle on sort une nouvelle collection, à 5,5 euros, avec d’abord treize titres. On avait besoin d’une collection un peu plus efficace au niveau tarifaire, complétée par des guides de conversation en mp3. Le tout compose un vrai kit de conversation pour le voyageur.

Quelle est votre stratégie sur internet ?
On vient de lancer notre nouveau site internet, qui est aussi un site marchand. Les libraires comprennent  tout à fait que les éditeurs doivent avoir un site marchand, surtout pour vendre des titres de niche comme l’ukrainien et le malgache. On ne les oublie d’ailleurs pas, car on a mis sur notre nouveau site un système de géolocalisation des librairies. Ce site doit devenir le « couteau suisse » des Editions Assimil, où l’on pourra trouver des nouveautés, s’inscrire à des alertes, écouter des extraits de la méthode, échanger et participer via le blog et les réseaux sociaux, mais aussi télécharger des livres et des méthodes numériques. Cela va nous permettre de créer et de faire remonter du trafic et ainsi de favoriser le référencement naturel sur les moteurs de recherche. Notre site permet aussi de vendre et de défendre les langues les moins parlées. Il y va de notre survie et de notre philosophie. Nous devons défendre un écosystème des langues.

Vous nous parliez de format numérique, c’est un axe de développement pour Assimil ?
2013 sera l’année du numérique chez Assimil. On aura bientôt deux types de nouveautés à notre disposition : des applications et des livres numériques. Les premières sont en cours de développement, elles sortiront en milieu d’année. Il s’agira d’une e-méthode, soit la méthode Assimil en numérique, compatible d’abord pour les PC et les Mac et ensuite pour les tablettes. On aura la possibilité de s’enregistrer, d’écouter ce qu’on fait, de consulter des notes de façon plus interactives… La deuxième nouveauté, c’est le livre numérique, lisible sur les tablettes : les guides de conversation seront les premiers à sortir sous ce format. Il faut que le livre numérique soit riche et pas seulement de simples PDF reproduisant du papier. On y trouvera des liens vidéo et des dialogues audio dans la langue du pays. En situation de voyage, on pourra consulter ces contenus sur son téléphone ou sa tablette, très pratique !

Apple et Amazon ont pris une sacrée avance dans le domaine du livre numérique, vous ne craignez pas d’être à la traîne ?
Il n’est pas question de laisser Apple et Amazon faire la pluie et le beau temps sur ce segment. Il faut que les éditeurs inventent leur propre histoire. L’une des tendances de notre activité, c’est la « best-sellerisation », qui s’amplifie et devient mondiale pour la littérature. La librairie est sans doute un lieu où vont très bien se vendre les livres qui font résonnance mais où la niche va être de plus en plus compliquée à défendre. D’où la nécessité d’être présent sur le livre numérique et plus généralement de faire du commerce sur internet.

Dans votre activité, le livre numérique va-t-il, selon vous, supplanter le livre papier ?
Dans le domaine des méthodes de langue, le numérique va bouleverser beaucoup plus de choses que dans le domaine des beaux livres par exemple. Mettre La Terre vue du ciel de Yann Arthus Bertrand tel quel en numérique n’a aucun intérêt. Une méthode de langue, c’est un produit hybride que l’on ne va pas prendre en main pour s’amuser. C’est avant tout un mode d’emploi. On a cette capacité de réaliser des produits hybrides qui mélangent le son, la vidéo…

L’innovation va-t-elle devenir pour un éditeur traditionnel comme vous un relais de croissance ?
Très clairement. Il faut inventer quelque chose de nouveau et de non-substituable. Nous sommes un peu en retard par rapport à nos concurrents mais rien de totalement satisfaisant n’a été créé pour l’instant. Avec un nom aussi magique que le nôtre, ce petit retard n’est pas rédhibitoire. Je suis persuadé que, demain, avec la reconnaissance vocale, on va faire des choses formidables pour l’apprentissage des langues. Par ailleurs, grâce aux neurosciences, on va pouvoir s’adresser à de nouvelles zones du cerveau et apprendre de façon quasi-inconsciente. Je vous donne un exemple : quand on apprend le chinois et ses idéogrammes, on sollicite des zones du cerveau jamais sollicitées chez l’homme occidental. Via le numérique, et via une expérience multimédiatique, on va pouvoir créer des produits extraordinairement efficaces et pratiques.

Comment comptez-vous vous appuyer sur les professionnels du tourisme pour vous développer ?
Deux possibilités : la première, créer un business complémentaire en agence en vendant des produits, des guides de conversation… Ce qui me paraît important, c’est de contribuer à créer de nouveaux univers dans les agences. Deuxième chose : on peut aussi créer des produits ad hoc. Si demain, un voyagiste vient nous voir afin de lui fournir 1000 guides personnalisés, on peut le faire et on peut les glisser dans le carnet de voyages. Et puis enfin, la méthode Assimil est aussi un formidable outil de formation et d’apprentissage des langues pour les salariés, et beaucoup moins cher que certaines méthodes.

Quel regard portez-vous sur le secteur du tourisme ? A vous entendre, on se rend compte que les problématiques sont, au fond, assez proches ?
Nous avons en effet des problématiques assez proches. Dans l’édition comme dans le voyage, les défis sont très importants. Nous devons être de plus en plus dynamiques, créatifs et inventer des produits non substituables si l’on souhaite exister face aux acteurs de l’internet. En découvrant votre secteur, j’ai été étonné du niveau d’artisanat, mais c’est aussi son point fort. Ce qui ajoute à la difficulté chez vous, c’est que les choses vont très vite au gré des événements politiques, environnementaux… Peut-être que le véritable dépaysement demain sera en Lozère plutôt qu’au Burkina Faso, qui sait ? Dernière chose : les personnes qui travaillent dans cet univers sont très attachantes, avec des histoires à raconter. C’est très important les histoires…

Propos recueillis par François-Xavier Izenic
Interview publié dans le magazine STRATEGOS n°54-55 printemps-été 2013.
http://www.strategos.fr/