Prisée de nos politiques, la langue de bois ou xyloglossie est une technique redoutable de communication avec ses codes, ses cibles et ses adeptes. Comment se définit-elle ? Quelle est son utilité ?
La langue de bois, qu’est-ce que c’est ?
Parfois appelée xyloglossie ou xylolalie (du grec xylon : bois et glossa langue / laleô : parler), la langue de bois est une figure de rhétorique reposant sur l’utilisation plus ou moins discrète de phrases et d’expressions convenues et souvent vides de sens.
La langue de bois, en politique ou ailleurs, recèle de nombreux atouts. Elle permet selon les situations et les locuteurs d’éluder un sujet sensible, embarrassant ou confidentiel, ou tout simplement de cacher une incompétence ou un manque de connaissance. Le fonctionnement est toujours identique : en cas d’urgence, déclamer des banalités déconcertantes, enchaîner les idées abstraites et exposer des vérités générales jusqu’au changement de sujet. Simple, mais redoutable.
Mais d’où vient donc la langue de bois ? En France, l’expression n’a fait son apparition qu’au début des années 70, avant d’être popularisée dans les années 80. L’image de la langue de bois remonterait à la révolution russe, lors de laquelle les Russes se moquaient ouvertement de l’administration tsariste et de sa « langue de chêne ». L’expression perdure sous l’administration russe bolchevique qui se démarque par son style très standardisé, à l’oral comme à l’écrit. De « langue de chêne », on passe progressivement à « langue de bois », plus générique mais au sens identique. L’expression parvient jusqu’en Pologne lors du mouvement Solidarnosc, dans les années 80 et sert alors à qualifier la langue russe jugée oppressive. Elle sera largement reprise par les médias français, qui contribueront à la popularisation de la langue de bois en France.
La langue de bois en politique, nécessaire à la communication ?
Forme de communication largement usitée dans la sphère politique, la langue de bois présente une utilité diplomatique indéniable. Elle permet, par l’usage de sophisme, de périphrases et d’euphémismes, de neutraliser les situations par les mots et d’en adoucir la réalité.
En toute logique, on retrouve aussi l’art de la xyloglossie dans les slogans politiques de nos dirigeants. En effet, comment toucher la plus large majorité d’électeurs, aux opinions et aux attentes différentes, si ce n’est avec des phrases généralistes et ampoulées, avec de grands mots que chacun peut interpréter selon ses convictions ?
La langue de bois est généralement fondée sur les mêmes bases, et les mêmes figures de style :
- Les périphrases et les euphémismes, très employés pour « noyer le poisson » et contourner une question en la reformulant, ou en élargissant le sujet ;
- La litote, plus mystérieuse, qui consiste à suggérer un maximum en révélant un minimum ;
- La métonymie, consistant à remplacer une idée par une autre en lien avec la première : la cause pour l’effet, la ville pour ses habitants…
Sans compter les formulations volontairement obscures et les sophismes à foison pour éviter d’entrer dans le détail sans perdre la face.
En France, des adeptes à droite, à gauche, au centre…
Une fois n’est pas coutume, tous les partis politiques sont d’accord lorsqu’il s’agit de faire honneur à la xyloglossie, bien que tous s’en défendent. Cécile Alduy, professeure de littérature à l’université de Stanford aux États-Unis s’est fixée pour objectif de décrypter les discours politiques de Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, François Hollande ou encore François Fillon à l’aube de l’élection présidentielle de 2017. Dans son ouvrage Ce qu’ils disent vraiment. Les politiques pris aux mots (éditions Seuil, paru en 2017), 1 350 discours passent au crible de son analyse pour faire apparaître les expressions, les formulations qui reviennent le plus souvent dans la bouche de nos représentants.
Premier constat depuis quelques années, les codes ont changé et les politiciens n’hésitent plus à piocher dans le lexique de leurs adversaires. C’est ainsi que Marine Le Pen mise sur la laïcité et la défense des travailleurs tandis que François Hollande parle plus que ses prédécesseurs d’entreprises, de compétitivité ou d’investissement. Ce lexique, qui permet de s’adresser aux électeurs au-delà de leur sphère politique, ne trahit pas pour autant leur idéologie. Quand François Hollande parle de l’entreprise, il l’associe systématiquement à l’égalité et à la solidarité. De la même manière, quand Marine Le Pen s’exprime sur la laïcité, c’est généralement pour cibler l’immigration. La langue de bois des politiques devient alors un outil pour généraliser un discours sur fond de dédiabolisation, alors que le fond reste inchangé. « Dans de nombreux textes, explique Cécile Alduy, elle opère en l’espace de quelques phrases un glissement entre « immigration » et « terrorisme » via le « fondamentalisme islamique » ». Selon la professeure, la probabilité statistique est très forte pour que l’on retrouve dans ses discours les deux idées liées au sein d’un même paragraphe.
Globalement, les politiciens qui gagnent en popularité sont ceux qui s’expriment dans la langue de leur électorat, comme l’affirme Cécile Alduy. Un critère qui explique le vocabulaire lié à la religion chrétienne de François Fillon, séduisant une droite conservatrice valorisant la famille, la patrie, le travail, l’ordre et l’autorité.
Une tâche moins aisée pour Jean-Luc Mélenchon qui s’adresse au peuple, aux précaires, aux chômeurs, mais qui séduit majoritairement des catégories socioprofessionnelles composées d’employés, de fonctionnaires ou d’enseignants. Toute la difficulté de son discours consiste alors à s’adresser à un public plus large en défendant le « peuple d’en bas ». De son côté, Emmanuel Macron propose un discours aussi ouvert que son idéologie. Ni à droite, ni à gauche, il offre un discours lisse et sans contradiction, prônant la liberté dans tous les domaines. Suivi par des électeurs de tous bords, il donne l’impression de produire une offre en fonction de la demande, tel un commercial de la politique. Car le discours politique est finalement très proche de celui du publicitaire, quel que soit le parti ou le candidat. Il s’agit de séduire et de convaincre, pour mieux vendre une idée ou un projet… Quitte à ce que le produit ne soit pas conforme aux attentes de la cible.
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