Que se passe-t-il quand on traduit des textes français en langues étrangères et qu’on les retraduit par la suite vers le français ? Voici une des expériences passionnantes menées par l’universitaire Pascale Roux, et qui aboutissent à deux ouvrages au concept unique parus aux éditions La Pionnière.

Assimil : Avant d’entrer dans le vif du sujet, pouvez-vous nous expliquer quelle est votre spécialité et/ou votre domaine de recherche ?
Pascale Roux : Je suis enseignante-chercheuse en Lettres, à l’Université Grenoble Alpes, spécialiste de langue française et de stylistique des XXe et XXIe siècles. Mes recherches ont d’abord porté sur les littératures francophones, c’est-à-dire sur les littératures écrites en français en dehors de France. J’ai en particulier travaillé sur l’Égypte francophone d’avant Nasser. J’ai fait ma thèse sur Georges Henein, un auteur surréaliste égyptien de langue française. Ce qui m’intéresse dans la francophonie, c’est qu’elle est un champ où différentes langues et différentes cultures entrent en contact et génèrent, par là même, une créativité spécifique.
Mon intérêt pour les formes de contact entre les langues s’est prolongé et transformé : depuis quelques années, je travaille sur le texte traduit en français, que j’envisage comme autonome, et plus spécifiquement sur ses caractéristiques stylistiques.

A : La langue-source n’est pas étudiée avec la langue-cible ?
P.R. : Je ne suis pas traductologue et n’ai aucune compétence en langues étrangères, même si, pour mon plaisir, je pratique la co-traduction du coréen (que je ne parle pas du tout), avec une traductrice coréenne, Lee Taeyeon. Dans mes recherches, j’aborde le texte traduit en français dans son autonomie, indépendamment du texte qui en est à l’origine – exactement comme on fait, la plupart du temps, lorsqu’on lit un livre traduit : on ne se réfère pas au texte original, dont on ne parle pas la langue, ou trop peu.
Le texte traduit résulte d’un contact entre différentes langues, que cette origine soit visible ou non, et je m’intéresse aux traces de ce contact, dans la langue et dans le style, ainsi qu’à la créativité spécifique qui est celle du traducteur, qui se trouve dans une position auctoriale particulière.

A. : Vous expérimentez également une forme de traduction très particulière.
P.R. : Avec deux collègues traductologues et italianistes de mon université, Filippo Fonio et Emanuela Nanni, nous avons décidé de mettre en place une expérimentation de rétrotraduction : faire traduire de la poésie et de la prose contemporaines vers différentes langues, puis les faire retraduire en français, par des traducteurs ne connaissant pas les textes d’origine. Nous avons décidé d’avoir recours, à chaque fois, à deux traducteurs en parallèle, pour faire apparaître ce qui relève de la contrainte de la langue vers laquelle on traduit et ce qui relève de la créativité propre du traducteur. Mais il nous fallait trouver des textes de départ pour cette expérimentation, et nous voulions qu’ils soient d’un auteur contemporain.

A. : C’est ainsi qu’est née l’idée de l’ouvrage de Gérard Macé, Chenilles et papillons ?
P. R. : J’ai travaillé sur les traductions de Gérard Macé (de l’italien, de l’anglais, du bengali) et, plus largement, sur ses ouvrages qui témoignent de l’intérêt qu’il porte aux langues. J’ai eu l’occasion de le rencontrer lors d’un colloque, « Les Mondes de Gérard Macé » (qui a donné lieu à un volume co-édité par Le Temps qu’il fait et Le Bruit du temps), et je lui ai parlé de ce projet de rétrotraduction, dans lequel il a accepté de s’impliquer, en nous communiquant des inédits – il fallait, pour que l’expérience fonctionne, que les textes à (rétro)traduire ne soient pas publiés. Il nous a proposé une série de quatre poèmes et un texte en prose, « Proche Afrique ». Ces textes ont été traduits dans huit langues, par deux traducteurs à chaque fois ; il existe donc 32 versions de chacun : 16 versions traduites (2 par langue) et 16 versions rétrotraduites. L’ensemble de ce corpus multilingue est consultable en ligne.
Le livre Chenilles et papillons est né de cette expérimentation. Gérard Macé a parlé de celle-ci à Dominique Janvier, directeur des éditions La Pionnière, à qui l’idée a tout de suite plu, et qui nous a proposé de publier les quatre poèmes avec l’ensemble de leurs traductions en langues étrangères.
Nous avons réalisé une exposition, au moment où le livre est paru, et notre corpus s’est enrichi, à l’initiative d’une collègue de Paris 3, Aline Marchand, d’une version traduite en langue des signes française par Sophie Hirschi, puis rétrotraduite par Sophie Pointurier.

A. : Comment avez-vous choisi et organisé les langues pour le livre ?
P.R. : Dans le livre, nous nous sommes bornés aux poèmes, qui se prêtaient mieux que le texte en prose à une édition telle que nous l’envisagions – ludique, esthétique et destinée à éveiller ou nourrir la curiosité pour les langues et les écritures.
Dans le projet expérimental que j’ai évoqué, les langues étrangères ont été sélectionnées pour leurs différences et leurs parentés. Elles fonctionnent par paires : deux langues anciennes (le latin et le grec ancien), deux langues orientales (l’arabe et le persan), deux langues extrême-orientales (le japonais et le coréen), deux langues européennes (l’allemand et l’italien). Dans le livre, nous avons choisi, avec Dominique Janvier, de ne pas faire apparaître cette structure et avons préféré l’ordre alphabétique qui, par un heureux hasard, permettait de faire alterner des écritures très différentes les unes des autres (dans l’ordre alphabétique : allemand, arabe, coréen, grec ancien, italien, japonais, latin, persan).
La préparation de Chenilles et papillons a été passionnante. Dominique Janvier a fait un remarquable travail pour la conception du livre. La révision des épreuves, avec des langues et des écritures aussi différentes, a été un moment très intense.

A : Justement, parlez-nous un peu plus du travail d’édition, toujours lourd quand on manipule différentes langues.
P.R. : Pour Chenilles et papillons, il a d’abord fallu constituer un réseau de traducteurs et traductrices susceptibles de traduire vers les huit langues et, dans une seconde phase, depuis ces langues. Une équipe d’une quarantaine de traducteurs a été créée, aux profils très différents : des universitaires, des traducteurs littéraires, professionnels ou amateurs… Nous étions trois chercheurs de Grenoble dans cette phase du projet, mais il nous a fallu aussi recourir, pour chaque langue, à des coordinateurs, puisque nous ne parlions pas celles-ci, et pour certaines nous n’étions pas même capables de les déchiffrer.
Le travail éditorial à proprement parler a commencé ensuite : récolter les versions, les rassembler, les communiquer au fur et à mesure à Dominique Janvier, toujours patient et bienveillant, qui a fait de son côté un travail admirable. On imagine bien la difficulté qu’il y a, pour un éditeur, à fabriquer un livre avec des alphabets qu’il ne connaît pas. Il a en outre pris le plus grand soin à choisir des polices de caractères qui soient à la fois adaptées à l’identité de la maison d’édition et qui soient assorties entre elles. Les polices peuvent être plus ou moins modernes, classiques, élégantes, anguleuses, etc. Un œil français non averti n’aurait pas forcément remarqué une mésalliance de caractères, si l’on peut dire, mais Dominique Janvier voulait éviter qu’un œil coréen ou arabe, par exemple, ne voie associées des polices trop dissemblables.
Lorsqu’il a eu terminé son travail de mise en page, il a fallu relire les épreuves. Comme nous n’étions pas capables de vérifier nous-mêmes la plupart des versions, nous avons décidé de mettre en place une double relecture : par les traducteurs et traductrices ainsi que par des personnes extérieures au projet. Le cercle constitué autour de ces poèmes et de ces langues s’est encore un peu agrandi.
Après la publication du livre, on a continué à rassembler des personnes autour de ce corpus de poèmes, par le biais de projets de recherche, mais aussi de création. Je voudrais citer le beau travail qu’a réalisé Nicolas Thévenet, ingénieur son de la Compagnie Haut et court et du Théâtre nouvelle génération de Lyon, avec l’aide d’un étudiant de Grenoble, Kevin Woringer : à partir de lectures enregistrées des poèmes (la version d’origine, les versions traduites et les versions rétrotraduites en français), un montage sonore poétique donne une idée de ce qui se produit dans le passage d’une langue à l’autre et invite à la rêverie sur les langues, leur diversité, le chant choral qu’elles composent, parfois mélodieux et parfois dissonant. L’expérience de Chenilles et papillons a été celle d’une aventure collective, celle d’une onde se répandant à partir des quatre poèmes, qui ont nourri toute une chaîne de lecteurs et d’interprètes.

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A : L’Infini de Leopardi est paru peu après, avec un travail éditorial forcément différent.
P. R. : Le livre suivant, L’Infini, a été une aventure tout aussi passionnante, mais beaucoup plus solitaire. Je la comparerais plutôt à un jeu de piste. Je me suis lancée dans le projet un peu à l’aveugle, lorsque, ayant identifié quelques traductions intéressantes, signées de grands noms de la poésie (Bonnefoy, Char, Jaccottet, Macé), je me suis dit que j’arriverais vraisemblablement à réunir un bel ensemble. J’ai alors fait ce que tout chercheur ou chercheuse connaît bien : explorer les catalogues des bibliothèques, traquer les versions, qui parfois se cachent dans des volumes dont le titre ne laissait pas toujours prévoir qu’on les y trouverait. C’est très amusant. Il faut être patient et opiniâtre, mais c’est très gratifiant lorsqu’on met la main sur ce qui, pour nous à ce moment-là, est une pépite, une pièce de plus dans la collection. Aujourd’hui, la numérisation d’un certain nombre de livres à la Bibliothèque nationale de France (Gallica), l’efficacité de la recherche dans les catalogues, notamment ceux qui sont à l’échelle nationale (comme le Catalogue collectif de France ou le Système universitaire de documentation), le système de prêt entre bibliothèques, tous ces outils facilitent grandement la recherche. Mais évidemment, ces moyens ne suffisent pas : on a besoin d’avoir les livres sous les yeux, de les feuilleter pour voir si le texte que l’on cherche s’y trouve, si c’est une version que l’on connaît déjà, s’il y a des variantes…
Et à un moment, il a bien fallu se dire qu’il était temps de s’arrêter. Il y a très certainement des versions qui ont échappé à ma vigilance : j’attends à la fois avec impatience et appréhension le jour où je vais tomber sur des traductions que je ne connais pas.
Le travail éditorial a ensuite consisté à établir les textes : en faire la saisie, vérifier très scrupuleusement la conformité à l’original, comparer les éditions lorsqu’il en existe plusieurs, relever les variantes, par exemple lorsque, d’une édition à l’autre, un mot a changé, un signe de ponctuation, la répartition des vers sur la page… tous ces détails qui, chacun à son échelle, ont leur importance.


Parallèlement, j’ai recherché des éléments biographiques sur les traducteurs et les quelques traductrices du poème. Cela m’a donné l’impression d’assister à un étrange passage de relais entre des personnages qui s’incarnaient, dont je me faisais une représentation plus ou moins précise, j’avais la sensation d’entendre leur voix, de les connaître un peu, en somme. J’ai eu l’impression d’avancer aux côté de fantômes bienveillants, dont certains étaient encore connus par leurs œuvres littéraires ou de traduction, mais d’autres tombés dans l’oubli. J’ai découvert des histoires un peu folles, des trajectoires de vie touchantes ou bouleversantes : celle de Vincent Castaldi, médecin qui aurait été victime des machinations de son épouse, une certaine Mlle Folly, l’ayant mené à la ruine et à la prison, celle de l’avocat Eugène Carré, spécialiste des affaires de divorce qui se donne la mort avec sa femme, ou encore celle de Benjamin Crémieux, écrivain et critique, mort au camp de Buchenwald. Et très souvent, je me suis demandé quelle place la traduction du poème de Leopardi avait pu occuper dans la vie de ces personnes. En relisant leur version, j’avais l’impression que certains éléments faisaient écho à des choses que j’avais pu trouver sur leur parcours, ou imaginer, supposer. Cela a été pour moi un support de rêverie d’une richesse incroyable. Et c’est pour cela qu’encouragée par Dominique Janvier, j’ai rédigé les courtes notices biographiques que l’on trouve à la fin du volume, qui ouvriront peut-être au lecteur curieux ou rêveur les portes d’autres vies…

A. : À la fin, qu’est-ce qui apparaît dans cette mise en regard ?
P.R. : Nous avons publié les différentes versions françaises de « L’Infinito » dans l’ordre chronologique pour qu’apparaisse immédiatement au lecteur le caractère historique de la traduction. La manière de traduire change : on ne s’autorise pas, à toutes les époques, les mêmes libertés lorsqu’on traduit, on ne définit pas de la même façon la « fidélité » au texte de départ, le rôle que joue la (re)traduction dans le champ littéraire varie.
La langue française évolue elle aussi, et avec elle ce qu’on pourrait appeler la « langue poétique » : les mots qu’on utilise lorsqu’on écrit un poème ne sont plus tout à fait les mêmes, les tournures de phrase non plus, les formes dominantes du vers changent. Ainsi, on remarque que, parmi les douze versions traduites au XIXe siècle, la majorité sont soit intégralement en alexandrins (quatre versions) soit en prose (six versions), seules deux font exception, qui font alterner alexandrins et décasyllabes. C’est au cours du XXe siècle qu’on voit se diversifier les formes poétiques : le vers comportant un nombre impair de syllabes est de plus en plus fréquent, ainsi que le vers libre, affranchi de la contrainte métrique (le retour régulier d’un nombre de syllabes fixe), et le vers blanc, affranchi de la contrainte rimique (la rime). Cette dimension historique de la traduction et de la langue (poétique) apparaît de manière frappante dans le livre, même si, bien entendu, il ne s’agit que d’un petit ensemble. Certains chercheurs ont fait des travaux très ambitieux sur la dimension historique de la traduction, par exemple l’équipe qui travaille à l’Histoire des traductions en langue française (Verdier), dont trois volumes sont déjà parus.

A. : Certains peuvent se demander pourquoi retraduire des textes.
P.R. : Publier ces versions traduites dans leur chronologie est aussi un moyen de montrer toute la richesse de la retraduction. Il faut constamment retraduire, non pas, comme on l’entend parfois, parce qu’il faut améliorer les versions précédentes ou parce que la traduction est par essence imparfaite. Il faut retraduire pour la même raison qu’il faut relire les textes, les réinterpréter, parce que c’est ainsi que la littérature est un lieu de dialogue et de confrontation, entre un texte et des lecteurs qui ne cessent de se le réapproprier différemment. C’est ainsi que les œuvres des siècles précédents continuent à vivre en nous. Retraduire c’est relire et réinterpréter, et on le voit bien dans le livre : chaque traducteur est comme un peintre, qui proposerait à chaque fois une vision un peu différente de ce paysage qu’il a sous les yeux, le poème de Leopardi. Et il faut ajouter que chaque (re)traducteur n’est pas seul face au poème : il retraduit en dialoguant avec ses prédécesseurs, une partie d’entre eux au moins. Il arrive ainsi qu’un choix de traduction soit explicitement fait contre un traducteur antérieur, par exemple François-Alphonse Aulard, auteur de la version en prose de 1880, qui critique le choix de traduire en alexandrins. Il arrive aussi que certaines versions soient clairement inspirées par d’autres, comme par exemple celle de Victor Orban, en 1910, très proche de celle de F.-A. Aulard, qu’il ne mentionne pourtant pas. Gérard Macé utilise une métaphore que j’aime beaucoup pour la traduction, que l’on peut je crois étendre à la retraduction : il parle d’une « galerie des murmures où l’on entendrait l’écho de paroles prononcées dans une autre langue, et le plus souvent dans une autre époque » (Colportage, Gallimard, 2018, p.209).

A. : Qu’est-ce que votre travail nous dit du statut des traducteurs ?
P.R. : Une autre caractéristique de cet assemblage est qu’il fait apparaître la créativité de la traduction. Le traducteur a un statut particulier, qui n’est pas celui du créateur de départ – puisque lui (re)crée dans un cadre contraint, celui du texte à traduire – mais qui n’est pas non plus celui d’un simple technicien de la langue, dont le rôle se réduirait à produire mécaniquement un équivalent du texte dans une autre langue. Le texte traduit résulte d’un acte de co-création. Il ne s’agit pas de mettre sur le même plan ces deux auteurs, qui font avec la langue ou les langues des choses différentes, mais il s’agit de rendre visible le travail et la créativité des traducteurs, même si, parfois, eux-mêmes préfèrent rester dans l’ombre. « L’Infini » publié en 2000 au Mercure de France n’est pas de Leopardi, mais de Bonnefoy traduisant Leopardi : dans ce cas, c’est très visible car le nom de Bonnefoy est sur la couverture du livre, qui s’intitule d’ailleurs Keats et Leopardi : quelques traductions nouvelles. De la même manière, « L’Infini » publié en 1934 par Hatier n’est pas de Leopardi mais de Mme H. Verdeil traduisant Leopardi : par contre, ici, il nous faut chercher le nom de la traductrice sur la page de faux-titre, à l’intérieur du livre et en petits caractères, et, même alors, nous n’aurons que son nom de famille (mes sources divergent : s’appelle-t-elle Héliane ou Henriette ?). Le degré de créativité des traducteurs varie, la nature de celle-ci aussi, sans doute, mais l’idée qu’ils puissent être invisibles ou qu’ils devraient l’être est un mythe ou une posture, comme l’a bien montré Lawrence Venuti.
Ce qui apparaît aussi, avec les notices biographiques, c’est l’importance du statut du traducteur. D’abord, on voit que ce qu’on pourrait appeler le « profil » des traducteurs change de manière notable : au XIXe, on trouve, à côté des professeurs et des écrivains, des hommes politiques, des avocats, un médecin, un voyageur ; au XXe, ces champs professionnels, disons « non littéraires » pour aller vite, ne sont plus représentés. On constate que la littérature comme la traduction, qu’elles soient des activités professionnelles ou bien des loisirs, sont de plus en plus fortement liées à certains métiers, à certains champs de compétence, à certaines catégories socio-professionnelles : au XXe, les traducteurs sont dans la grande majorité des cas des enseignants ou des écrivains.
Et est-ce qu’on traduit de la même manière quand on est professeur d’italien ou de littérature française, quand on est poète, avocat ou historien ? La question du statut professionnel nous amène à une autre, celle de la posture du traducteur : souvent, dans son livre, celui-ci donne des indications sur la manière dont il veut que le lecteur le voie. Par exemple, il donne une préface, ajoute au texte des notes explicatives, dans lesquelles il se présente et justifie ses choix de traduction. Dans sa manière même de traduire, on peut identifier des indices sur sa posture : par exemple, que nous dit le traducteur de son rapport à la langue et de sa connaissance de celle-ci, lorsqu’il choisit en 2010, comme le fait Jean-Charles Vegliante, d’écrire « très-profonde », avec un trait d’union, selon un usage tombé en désuétude ? Et que nous dit-il du lecteur qu’il vise par ce choix ? Tous ces indices sont des exemples de ce que l’on peut appeler la « posture » (J. Meizoz, Postures littéraires : Mises en scène modernes de l’auteur, Genève : Slatkine érudition, 2007 et Postures littéraires II : La Fabrique des singularités, Genève, Slatkine érudition, 2011 ) et que je trouve intéressant d’étudier dans la traduction, dans la mesure où je fais l’hypothèse qu’on peut établir une relation entre celle-ci et le style du texte traduit (cette hypothèse était au centre du colloque « L’écrivain-traducteur : ethos et style d’un co-auteur », que j’ai organisé avec Aline Marchand les 9 et 10 novembre 2017 à l’Université Grenoble Alpes, les 18 et 19 janvier à l’Université Sorbonne nouvelle – Paris 3).

A. : Est-ce que ces deux parutions peuvent nous laisser imaginer une collection en gestation ?
P.R. : Oui, bien sûr. Dominique Janvier et moi nous laissons un peu de temps pour définir ce que pourrait en être l’identité. Matériellement, cette identité s’impose : le format allongé, la couverture colorée, le feuillet dépliant avec la version de départ, l’esprit de la police de caractère. Nous voudrions continuer ce partage de compétences qui nous semble fructueux : Dominique sait faire de très beaux livres et j’ai appris à faire ce qu’on appelle des éditions scientifiques. Beaucoup d’autres éléments restent encore à définir, mais nous avons le désir que cette aventure se poursuive…

Entretien réalisé par Nicolas Ragonneau en février 2019.
Le site des éditions La Pionnière