Les Jeux Olympiques de Tôkyô commencent le 23 juillet. Des Jeux qui auraient dû avoir lieu en 2020, très impopulaires dans l’opinion publique japonaise et dont l’organisation a longtemps été incertaine. C’est la deuxième fois que la capitale nippone accueille les Jeux Olympiques : la première fois, c’était en 1964, et notre autrice de japonais, Catherine Garnier, était aux premières loges. Elle raconte ses Jeux Olympiques et sa découverte de la culture japonaise dans une série de trois épisodes, à raison d’un épisode par semaine.

Un cheval en or

 J’ai fait allusion dans l’épisode précédent à « notre groupe ». Il faut peut-être préciser de quel groupe il s’agissait et pourquoi ce groupe était envoyé à Tôkyô au moment des Jeux.
Si peu de gens en 1964 avaient quelques connaissances sur le Japon, encore moins, et encore maintenant, ont entendu parler des « World Youth Camp/Camp international de jeunesse ». Un petit événement bien sûr, à côté des Jeux mais un événement quand même. Parallèlement aux Jeux et dans le même esprit des rassemblements internationaux de jeunesse regroupant des centaines de participants  sont organisés sous diverses appellations et s’adressant selon les lieux et les années à des publics différents. Ces rassemblements ont lieu pour la première fois en 1912 à Stockholm, puis depuis Helsinki en 1952,  (ensuite pour la première fois en hiver — Japon toujours premier — aux Jeux de Nagano). Ce fut le cas lors des Jeux de Tôkyô. Le Tôkyô World Youth Camp, organisé sur le modèle de celui tenu à Rome en 1960, a rassemblé 664 jeunes de 28 pays (sur les 82 pays invités), plus 354 jeunes Japonais, pour toute la durée des Jeux, avec un triple objectif :  faire se rencontrer et vivre ensemble des jeunes de nombreux pays, leur permettre d’assister aux Jeux et leur faire découvrir (et aimer ?) le Japon. La France avait fait très bon accueil à l’invitation et envoyé, par avion spécial… et oui !!!, une délégation de 111 membres, pas moins ! Délégation plutôt hétérogène : majoritairement membres des organisations de jeunesse1, sportifs de haut niveau ayant manqué de peu la sélection olympique, lauréats des concours généraux (dont ce voyage était la récompense), employés de divers ministères.   

Le Gymnase Olympique

Nous voilà donc tous installés sur le campus de l’Université Gakugei daigaku (Université des arts et sciences), à 20 minutes de bus du Stade Olympique et du Parc Olympique de Komazawa où se trouvaient réunies une bonne partie des installations sportives. Le seul bâtiment emblématique de ces jeux, et quel emblème !!!, qui reste encore objet de fascination pour le monde de l’architecture, est le Gymnase olympique de Yoyogi, créé par l’architecte internationalement connu Kenzô Tange, avec son extraordinaire toit en forme de coquille d’escargot (photo ci-dessus), qui a continué depuis à accueillir toutes sortes d’activités sportives  et sera encore à l’honneur pour les Jeux de 2020. On n’était pas encore entré dans la démesure qui marque les Jeux les plus récents, et que Paris saura éviter, j’espère, imitant le Japon qui, dans sa sagesse, avait limité les installations nouvelles, privilégiant les actions pour la vie quotidienne des Tôkyôïtes.  Il semble que cette année aussi le Japon ait été assez prudent sur ses installations olympiques.    

Et les billets pleuvaient…

Être proche des principales installations sportives dans cette ville tentaculaire n’était pas notre seul privilège. Nous avons eu droit, bien sûr, en groupe, aux cérémonies d’ouverture et de clôture qui toutes les deux sont des moments d’une intensité émotionnelle rare. Cela vaut la peine de les avoir vécus une fois dans sa vie. On sent tout à coup se réveiller son patriotisme, pour ne pas dire son chauvinisme ! Entre temps, pendant toute la durée des Jeux, chacun avait la possibilité d’assister individuellement à toutes les compétitions de son choix, sans limitation. Il suffisait de demander… et les billets pleuvaient, gratuits bien sûr ! Après le choc du premier contact avec Tôkyô, nous devenions petit à petit des experts en transports publics. Personnellement j’ai pu assister aux épreuves d’escrime, de natation, d’athlétisme, un peu de judo… quand même (le seul que je ne pratiquais pas) !  

Humiliation en judo

En 1964, 19 sports seulement figuraient au programme olympique contre 33 aujourd’hui,  et 93 pays participaient contre 206 cette fois-ci. Deux grands absents : la Chine (ne venait pas puisque Taïwan était là) et l’Afrique du sud que le CIO n’avait pas invitée, à cause de l’apartheid.
Deux moments mémorables pour moi : l’ouverture officielle des Jeux prononcée par l’Empereur de Shôwa (Hirohito), avec cette voix cassée, et un peu déformée par le léger vent qui soufflait sur le stade, cette même voix que fait entendre l’enregistrement souvent diffusé de son annonce à la radio de la reddition du Japon à la fin de la guerre en 1945.
Ce n’est pas franchement un hasard si le judo a fait sa première apparition aux Jeux de Tôkyô et il était impensable que toutes les médailles d’or ne soient pas pour des Japonais. Mais après 3 médailles d’or sur 4 épreuves, il est arrivé une immense catastrophe, un séisme qui a secoué tout le pays et semé la consternation générale : en présence de l’empereur et de son épouse, le néerlandais Anton Geesink a eu l’audace de battre le champion japonais. Sacrilège ! L’histoire ne dit pas si le malheureux japonais et son staff ont échappé au seppuku (harakiri en français).

Lutteur B sauve l’honneur

La consternation n’était pas que japonaise. Nous, Français, espérions tous les jours entendre une victorieuse Marseillaise… Hélas ! De l’argent 8 ! Du bronze 6 ! mais de l’or point !  Nous avons fini 21e !!! Nous avions pourtant quelques vedettes : Christine Caron, dite Kiki, pour la natation2, Maryvonne Dupureur dans le 800 m, sur lesquelles reposait l’espoir de médailles d’or françaises. Toutes deux médailles d’argent tout de même.
Ce n’est que le dernier jour, entrant dans le stade pour la cérémonie de clôture, que nous fûmes absolument abasourdis et incrédules en entendant enfin les accents de notre hymne national. La dernière épreuve des Jeux, juste avant la cérémonie de clôture était… l’épreuve d’équitation. Notre honneur sauvé par un cheval ! Merci à Lutteur B… et aussi un peu à Pierre Jonquères d’Oriola !

Photo principale : Le gymnase olympique de Yoyogi, conçu par Kenzô Tange.

  1. Recrutés par l’intermédiaire de COGEDEP, Cogestion pour les déplacements à but éducatif, association d’associations sous le patronage du Haut comité de la Jeunesse, créée en 1950, dissoute en 1980, qui avait pour but de faciliter les voyages afin de promouvoir les rencontres entre jeunes européens après les déchirements de la seconde guerre mondiale. []
  2. J’ai été amusée d’entendre très récemment à la télé une interview d’elle, justement à propos des Jeux de 1964. []