Les Jeux Olympiques de Tôkyô commencent le 23 juillet. Des Jeux qui auraient dû avoir lieu en 2020, très impopulaires dans l’opinion publique japonaise et dont l’organisation a longtemps été incertaine. C’est la deuxième fois que la capitale nippone accueille les Jeux Olympiques : la première fois, c’était en 1964, et notre autrice de japonais, Catherine Garnier, était aux premières loges. Elle raconte ses Jeux Olympiques et sa découverte de la culture japonaise dans une série de trois épisodes : voici le dernier de la trilogie.

Le rêve japonais

Les Jeux ne se déroulaient pas sur une île déserte ! Sur une île oui : Honshû, une des 4 plus grandes de l’archipel japonais (du nord au sud : Hokkaïdô, Honshû, Shikoku, Kyûshû), archipel qui en compte en outre des milliers de petites…Déserte encore moins, même si en 1964 le Japon ne comptait que (!!!) 98 millions d’habitant (contre 126 millions aujourd’hui, soit 22% de plus) serrés tout de même sur un territoire deux fois plus petit que la France, et dont un petit quart seulement est habitable.
En 1964, les pentes qui mènent (ou partent de) la gare de Shibuya, que nous fréquentions assidûment (c’était « notre » gare) étaient encore bordée d’échoppes d’artisans, remplacées aujourd’hui par une marée d’immeubles. Tôkyô vu du haut des 332 mètres de Tôkyô Tower (Tour de Tôkyô, relais de télévision en forme de tour Eiffel) était encore marron et vert : un océan de petites maisons de bois entourées pour la plupart d’un mini-mini-jardin ou au moins de nombreuses plantes en pots. Depuis la ville a changé de couleur, elle est devenue blanche et grise, et surtout elle a pris de la hauteur, les immeubles et les gratte-ciel y ont poussé comme des champignons, remplaçant les petites maisons et leurs jardins. Du coup Tôkyô Tower devenue trop basse pour assurer son rôle d’antenne s’est vue détrônée par Tôkyô Skytree et ses 634 mètres. On me reprochera sans doute quelques relents de nostalgie…et ce sera avec raison. Quelque chose de l’ancien Japon subsistait encore dans la capitale en 1964, année qui marque le début d’une transformation radicale et rapide, comme en sont coutumiers les Japonais, et qui au fil des années a modifié considérablement le paysage urbain. Les Jeux en ont été le coup d’envoi efficace… et fatal. 

Dans le Kansai

Je ne pense pas trop m’aventurer en disant que les membres de la délégation française n’étaient que mollement intéressés par le premier objectif du World Youth Camp (rencontres internationales) mais passionnés par les deux autres. Le dernier objectif, découvrir le Japon, a été pleinement réalisé grâce à l’Association des Maires du Japon qui a organisé pour nous (par demi-groupe de 55) un séjour de plusieurs jours dans le Kansai, région de Kyôto/Ôsaka.
A l’époque où eurent lieu les Jeux, le Japon était fort peu fréquenté par les étrangers, mis à part les Américains résidants, en particulier sur les bases militaires encore nombreuses. Tout fut alors mis en œuvre pour présenter aux étrangers présents pour les Jeux, athlètes et visiteurs, un visage idyllique du Japon. Le Japon pays de rêve, et en fait, à l’époque c’était assez vrai :  économie florissante en pleine expansion, beauté des paysages, magie du patrimoine en même temps que démonstration de modernité, accueil chaleureux de la part de la population, sécurité assurée…

Visite privée du Palais impérial

En ce qui concerne notre groupe l’opération a totalement fonctionné, en particulier lors du voyage dans le Kansai, où l’Association des Maires avait, comme on dit « mis les petits plats dans les grands » pour nous accueillir. Et nous avons tous marché à fond ! Outre les fastueuses réceptions dans les quatre villes qui nous accueillaient (Kyôto, Ôsaka, Kôbe, Nara), des visites privilégiées étaient organisées pour nous. Imaginez-vous visitant Versailles à 50 personnes. C’est ce qui s’est passé pour nous au Palais impérial à Kyôto. Même si les deux sont à l’opposé, le Palais impérial étant fait de petits pavillons tous plus beaux les uns que les autres disséminés dans de merveilleux jardins. Idem pour le Pavillon d’or (Kinkaku-ji), la villa impériale de Katsura, le Château Nijô, et autres lieux non moins prestigieux. Comment ne pas tomber amoureux d’un pays dont les merveilles vous sont révélées dans des conditions aussi incroyables. Aujourd’hui où le Japon a (malheureusement, ai-je égoïstement envie de dire) succombé aux sirènes du tourisme international, autant de lieux où il est difficile d’échapper à la foule et au bruit, si on a pu même y accéder. Nous découvrions un autre monde, où il était tout à coup devenu possible de discuter des performances de Kiki Caron dans le bain collectif (féminin) d’une auberge à la japonaise, d’expérimenter la marche souple sur les tatamis, de savourer les délices de la cuisine japonaise (loin de la triste caricature qu’en donnent nos restaurants « japonais » (souvent chinois !) français incapables de se sortir des éternels sushi et brochettes). Oui le rêve ! Au moins en apparence, à l’image des photos du Mont Fuji1 qui le représentent toujours se détachant net et majestueux sur un superbe ciel tout bleu, et se reflétant dans le lac Ashi no ko, spectacle quasi impossible à contempler « en vrai », le Fuji étant un volcan encore actif, même modérément, dont le sommet est la plupart du temps perdu dans les nuées… et il faut d’abord trouver l’endroit d’où a été prise la photo !!!

Un miracle japonais

 Comment aussi ne pas être séduits par l’organisation à la japonaise ! Tout marche, jamais d’accroc, tout est à l’heure ; aussi bien lors des Jeux magnifiquement orchestrés, que dans la vie du World Youth Camp, et que dans la vie de tous les jours dans la ville. Séduits aussi par la gentillesse des Japonais qui étaient à notre disposition dans le Camp, et de tous ceux que nous avons pu rencontrer. Mais… il y a toujours un mais ! J’ai commencé à découvrir une petite faille : la capacité des Japonais à résister avec un grand sourire à vos demandes lorsqu’ils n’ont aucune envie d’y accéder !  Malgré cette volonté forcenée de ne montrer que ses bons côtés, le Japon est comme tous les pays, il a ses zones d’ombre. Il réussit peut-être mieux que d’autres à les cacher. En tous cas, à l’époque, nous avons été tous complètement éblouis. Ainsi le sera le monde entier dans les décennies suivantes : le « miracle » japonais !
Evidemment, comme on peut s’en douter le plus grand choc pour moi a été la rencontre avec la langue japonaise. Les Japonaises qui veillaient sur nous (surveillaient…) dans notre dortoir m’ont appris quelques chansons enfantines. J’ai été tout de suite frappée par la simplicité de l’organisation de cette langue et de son phonétisme. De plus, dans ces rues dégoulinantes d’enseignes, d’affiches, de panneaux, c’était une énorme frustration d’être incapable de lire un seul mot. Comme un monde interdit et un défi. Dès mon retour je me suis inscrite au seul cours privé de japonais existant à Paris (et sans doute en France) à l’époque. Le jour où on nous a distribué des feuilles avec les hiragana, j’étais si excitée, complètement plongée dans la contemplation de ces feuilles que j’ai raté mon arrêt de bus, et n’ai émergé qu’au terminus ! Ce fut le début de l’aventure et de bien d’autres découvertes, pour le meilleur et pour le pire !

Légende de la photo : le pont Olympique créé à Tôkyô pour les J.O. de 1964, nommé Gorinbashi.

  1. Si le mont en question s’appelle en japonais Fuji-san, ce n’est pas du tout parce que les Japonais lui donnent un titre de politesse. san ici n’est pas, comme on le croie souvent,  le san qu’on accole aux noms des personnes, mais la lecture sino-japonais du caractère qui veut dire montagne. Fuji-san c’est tout simplement littéralement « le Mont Fuji ». []