Les Jeux Olympiques de Tôkyô commencent le 23 juillet. Des Jeux qui auraient dû avoir lieu en 2020, très impopulaires dans l’opinion publique japonaise et dont l’organisation a longtemps été incertaine. C’est la deuxième fois que la capitale nippone accueille les Jeux Olympiques : la première fois, c’était en 1964, et notre autrice de japonais, Catherine Garnier, était aux premières loges. Elle raconte ses Jeux Olympiques et sa découverte de la culture japonaise dans une série de trois épisodes, à raison d’un épisode par semaine.

Premier épisode : une démonstration de force

Je n’étais sans doute pas la seule personne en France en 1964 à n’avoir que des idées très vagues sur le Japon, lorsque dans les couloirs de l’association pour laquelle je travaillais quelqu’un est passé en clamant : y a-t-il qui quelqu’un pour aller au Japon aux Jeux Olympiques ?  Alors… pourquoi pas moi ? Et voilà le début de l’aventure. Mes seules connaissances sur le Japon venaient du programme d’histoire de la classe de philo, avec les guerres russo-japonaises et sino-japonaises de la fin du XIXe et début du XXe siècles, qui ne m’avaient guère passionnée. Mais les Jeux Olympiques, ça c’était intéressant ! Eussent-ils été à Vancouver ou Mexico, c’est là que je serais allée !!!

Un pays qui se sent occidental

Yoshinori Sakai, le dernier porteur de flamme dans le stade olympique. Wikimedia Commons

 Le Japon a été le premier pays d’Asie à organiser les Jeux d’été, en 1964 donc. Il faudra attendre Séoul en Corée du sud en 1988 pour qu’un autre pays asiatique se lance. Le Japon a été aussi le premier à organiser les Jeux d’hiver, à Sapporo en 1972, puis 1998 à Nagano. Il faudra attendre 2018 encore en Corée du sud à Pyeongchang pour qu’un autre pays asiatique figure sur la liste  des Jeux d’hiver.  En fait, le Japon ne s’est jamais senti vraiment « asiatique », dès la fin du XXe siècle, il a voulu se considérer comme appartenant au même club que les puissances « occidentales » ; l’« occident » (seiyô, en japonais), malgré la vaste portée du terme, se limitant pour les Japonais aux Etats-Unis et à trois pays européens : l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne (ceux auxquels il avait fait appel pour sa modernisation à la fin du XIXe  siècle). C’est sans doute pour cette raison (entre autres…) que le Japon s’était déjà porté candidat à l’organisation des Jeux d’été et d’hiver en 1940. Jeux qui ont été annulés à cause de la guerre.
L’organisation des Jeux en 1964 relève de la même idée. Le Japon, qui s’est relevé économiquement, va devenir dans les années 1960 une puissance économique majeure (2e du monde). Les Jeux sont l’occasion de manifester au monde sa volonté de s’imposer comme un pays moderne qui compte parmi les plus puissants.

Tôkyô, le choc

C’est d’abord cette modernité qui me frappe, je devrais dire, me stupéfie dès l’arrivée. Atterrissage à l’aéroport tout neuf de Haneda, dont les pistes sont construites sur des terrains gagnés sur la mer dans la baie de Tôkyô. Un premier signe : alors que dans nos gares parisiennes c’est toujours un employé qui change les plaques avec sa grande perche sur le tableau des départs et arrivées, l’aéroport est équipé de tableaux à petites plaques tournantes qui n’arriveront chez nous que quelques décennies plus tard. Pour relier l’aéroport à la ville, on monte dans un monorail suspendu, on survole des autoroutes qui se croisent. Venant de notre vieux Paris, j’ai l’impression d’être dans un film de science-fiction, dans un monde qu’à l’époque on imaginait pour après le mythique an 2000 ! Bien qu’à l’époque n’existait pas encore le fameux carrefour de Shibuya que l’on montre bien souvent, avec ses colonnes de piétons qui se croisent pendant que la circulation automobile est arrêtée, le premier contact avec Tôkyô est un choc : l’immensité de la ville, la foule, un autre monde. Et surtout une autre écriture ! A l’époque il était rare de voir des caractères romains. Par exemple pour les noms de stations de métro, écrits uniquement en écriture japonaise. Je me souviens que lors de notre premier voyage en métro le lendemain de l’arrivée, nous étions accrochés aux basques de notre guide, comme des enfants aux jupes de leur mère, nous disant que si nous nous perdions, c’était impossible de se retrouver !

Le Shinkansen entre en service

Le Chaudron et la flamme olympique. Photo Catherine Garnier

Le spectacle de ces villes d’Asie ruisselantes de néons de toutes les couleurs est devenu banal. En 1964 (où la télé était encore une rareté et de toutes façons en noir et blanc) c’était encore un sujet d’émerveillement et de surprise. Et je n’étais pas au bout… des surprises.  A l’occasion des Jeux, le Japon inaugurait le Shinkansen, le train, à l’époque, le plus rapide du monde (le TGV est en service depuis 1981) que notre groupe a eu l’occasion de prendre pour se rendre dans le Kansai (région de Kyôto/Ôsaka). Métros ultra modernes… Tout était fait pour démontrer les capacités technologiques du pays organisateur, et, en ce qui concerne la capitale Tôkyô, les Jeux étaient l’occasion de lui faire faire un bond dans ses infrastructures. La technologie ne concernait pas que cela. Dès le lendemain de notre arrivée, presque tous les membres du groupe se sont rués à Shinjuku où se trouvent les super-magasins d’appareils photos. Les marques japonaises, les meilleures du monde, ne se trouvaient pas encore en France. Idem pour les magnétophones. Ainsi équipés on pouvait commencer à s’occuper des Jeux !

Photo principale : Yoshinori Sakai (1945-2014), le dernier porteur de la flamme olympique pendant la cérémonie d’ouverture des J.O. d’été, le 10 octobre 1964. Sakai était né le 6 août 1945, le jour du bombardement d’Hiroshima. (c) TopFoto / Roger-Viollet