Il existe des langues créoles sur tous les continents, excepté en Europe. Mais où le mot « créole » puise-t-il son origine ? Que désigne-t-il ? Quelles sont les particularités et les curiosités de cette langue née du contact des colons européens et des déportés africains et asiatiques, mis en esclavage dans les Caraïbes, en Louisiane, ou encore dans l’océan Indien ? Décryptage d’un phénomène linguistique d’importance considérable.

Quelles sont les origines du créole ?

Le créole apparaît dans le contexte du commerce des esclaves du XVIe au XIXe siècle. Étymologiquement, le mot « créole » proviendrait de l’espagnol criollo, mot lui-même issu du portugais crioulou, signifiant « serviteur nourri dans la maison ». En France, le terme proviendrait du latin criare (nourrir, élever). Il qualifiait donc historiquement toute personne « élevée sur place », « qui est du pays ». Ce mot a donc servi initialement à désigner « l’enfant blanc né et élevé dans les colonies d’Outre-mer, comme la population noire (étendue aux animaux et aux objets) et leur langue ».

En linguistique, une langue créole est une langue devenue native dans une société, et qui, pour certains spécialistes, descend à l’origine d’un pidgin. Mais qu’est-ce qu’un pidgin ? Il s’agit d’une langue véhiculaire simplifiée, créée sur une langue de base, bien souvent européenne (anglaise, française, espagnole, portugaise, néerlandaise). Certains suggèrent qu’un pidgin peut devenir un créole à partir du moment où une génération l’utilise comme langue maternelle. D’autres différencient pidgin (émergence pour communiquer et faire commerce) du créole (apparition dans les colonies pour servir les interactions entre les colons et les esclaves, puis entre populations serviles). En sociolinguistique, on parle alors de basilecte, c’est-à-dire une variété de langue éloignée de sa langue de base (l’acrolecte) mais qui coexistent dans un continuum. La basilectation proviendrait de la distinction progressive du créole parlé par les colons blancs des parlers des populations serviles.

Il est également courant d’utiliser le terme « pidgin » pour nommer des langues issues de l’anglais ; et le terme « créole » pour les langues issues du français.

Renvoyant avant tout à la traite des Noirs, le créole est essentiellement le résultat du mixage de langues différentes dans le but de pouvoir communiquer, de trouver un langage commun entre deux personnes d’origine différente :

– Se comprendre entre maîtres (européens) et esclaves (majoritairement africains).

– Échanger entre deux esclaves provenant de deux pays distincts.

– Élaborer un système de communication afin de subsister, voire de résister.

– Se reconnaître comme faisant partie intégrante d’un même espace géographique par une langue commune.

Les caractéristiques du créole

Une langue créole est une langue développée à partir de la simplification d’une langue de base et du mélange de langues déjà existantes, c’est pourquoi il existe différentes langues créoles. Le créole se différencie d’une langue hybride, dans le sens où il a tendance à systématiser la ou les grammaire/s hérité/e/s, comme par exemple l’élimination des irrégularités.

D’approximations en interprétations, les stratégies d’appropriations transformèrent la langue de base, la langue orale des Blancs, en une autre, autonome : un créole. C’est une langue initialement orale. Les premiers écrits sont corrélés à la christianisation des esclaves et la nécessité de disposer de textes pour l’évangélisation ; mais également à la volonté de transcrire des contes et chansons dans une tentative d’assimilation (traduction et adaptation des contes de La Fontaine par exemple), ainsi que pouvoir fournir des sources judiciaires. Le créole aménage le code phonographique du français de l’époque, les premiers scripteurs étant blancs. Ces premiers documents constituent le point de départ d’une grammatisation.

Le phénomène linguistique est complexe, il réside dans la simplification entre une langue européenne et une ou plusieurs langues africaines, et un mélange phonétique, morphologique, syntaxique ou lexical. Le créole se présente comme une langue « empruntée et adaptée », il se forme au contact des langues pour en former une nouvelle, en lien avec le territoire et les sociétés d’habitation. Comme toute langue qui traverse les époques, c’est une langue qui a « muté » : influence forte des langues africaines jusqu’à l’abolition de l’esclavage, enrichissement lexical à partir du XIXe siècle avec l’engagisme, réappropriation locale avec les départementalisations ou indépendances des territoires insulaires pratiquant cette langue…

Le créole n’a pas disparu à l’abolition de l’esclavage, et sert aujourd’hui de langue maternelle pour de nombreux enfants et de langue véhiculaire pour les populations, devenues autochtones. La langue créole est désormais identifiée comme une langue associée aux parlers des populations noires insulaires. Le créole le plus parlé est le créole haïtien avec 13 millions de locuteurs.

Voici une liste non exhaustive des créoles dans le monde : (source wikipédia)

À BASE LEXICALE ANGLAISE

Créole hawaïen
Créole jamaïcain
Créole libérien
Krio de Sierra Leone
Kriol d’Australie
Sranan (créole surinamien)
Pidgin nigérian

À BASE LEXICALE ESPAGNOLE

Chavacano (Philippines)
Palenquero (Colombie)
Habla congo (classification non consensuelle)

À BASE LEXICALE FRANÇAISE

Créoles français d’Amérique : haïtien, guadeloupéen, martiniquais, guyanais
Créoles français de l’océan Indien : réunionnais, mauricien, seychellois
Créole français de l’océan Pacifique : tayo (Nouvelle-Calédonie)

À BASE LEXICALE PORTUGAISE

Créole de Guinée-Bissau (Guinée-Bissau et Casamance)
Créole du Cap-Vert (kriolu, kriol)

Intercompréhension entre les créoles français

Un Martiniquais peut-il communiquer avec un Réunionnais, en créole, sans difficulté ? Il pourrait être facile de croire que les créoles français se ressemblent tous, mais il s’agit là d’une erreur associée à la comparaison de documents écrits. Pour rappel, les langues créoles se sont construites en fonction des migrations (esclaves et colons). Même si elles présentent des caractéristiques communes, elles ont également chacune leurs spécificités. Les Français venus s’établir dans les colonies provenaient essentiellement de la province, ils pratiquaient alors un langage, bien à eux, et loin du français standard de la Cour à cette époque. Les esclaves, quant à eux, étaient d’origines différentes : les Africains assignés à rejoindre les Antilles provenaient généralement de l’Afrique occidentale, alors que ceux envoyés dans l’océan Indien étaient plutôt originaires de l’Afrique de l’Est, puis de Madagascar et d’Asie (Inde, Chine).

L’intercompréhension entre les créoles des Antilles et ceux de l’océan Indien est par conséquent très réduite, même si cela semble proche sur le papier. L’évolution des langues créoles dans le temps a également raison de différences linguistiques.

Différences des créoles à base lexicale française (source wikipedia)

françaiscréole haïtiencréole guadeloupéencréole guyanaiscréole martiniquaiscréole réunionnais
moi, jemwen, mwen menmmwen, anMomwen, manmwin, moin, mi, amwin, amoin
toi, tuou, ou menmou, vouto, ouou, wou, ou menmou, twé, toué, atwé, atoué, ti, vou, vi,
i, elleli, li menmi, lii, lili, i, li menmli, lu, ali, alu
nousnou, nou menmnouNounou, nou menmnou, ni, nu
vousnou, nou menmzòtZòtzot, zot menmzot, ou, vi et vou (politesse)
eux, ils, ellesyo, yo menmyoyo, yo menmAzot, banna, bann-la, zot, zot-toute
eauDlodlo, agwédilo, d’lo (forme courte)dlodolo, delo, dlo
terretè, latè(-a)latèlatè(-a)latètèr
cielsyèl (la), lesielsyèlsyèl-asyelsyèl, siel
jourJoujouJoujouzour, jour
mangermanjémanjémanjémanjémanzé, manjé
femmefanm, dam, madanmfanmfanm, man, madanmfanm, madanm, machèfanm, madanm
hommenonm, nèg, mésyé/misyéboug, nonmboug, mouché, wonmboug, nonm, misyé, negboug, bononm, zonm, méssié/missié
feuDifédiféDifédifédofé, dfé
grandGrangwan, grangrangrangran
nuitlannwit (le t sonore)lannwit (le t sonore)lannwit (le t sonore), soukoulannwit (le t sonore), nwèssènwit, nuit (le t sonore), fénoir
petitti, piti, toupititi,piti, toupiti, toupitpiti, ti, toupititi, piti, pititti, pti

Le créole n’a pas de culture autochtone mais malgré des similitudes fortes, lorsque deux créolophones, d’origine géographique plus ou moins proche, communiquent entre eux, l’accent, l’intonation, un nombre plus ou moins important de termes inconnus, certains éléments grammaticaux et des tournures syntaxiques, peuvent entraver la compréhension.

Pour autant, les créoles ont des origines et une histoire singulière communes.

Des mots vecteurs de mémoire

Certains créoles ont aujourd’hui disparu à l’épreuve du temps, de l’émancipation des hommes et des territoires et de l’indépendance des pays. Le créole est cependant devenue langue officielle dans certains pays, comme les Seychelles ou Haïti. En France, la mission académique « Maîtrise des langues », prononcée en 1999-2000 en faveur de l’introduction du créole dans les divers ordres d’enseignement, renforcée par la loi du 13 décembre 2000 sont des initiatives prônant l’apprentissage des langues régionales, donc des langues créoles (essentiellement en maternelle). De nombreux créoles se battent pour conserver l’apprentissage et la diffusion du créole. Les langues créoles ne permettent-elles pas de conserver une trace de l’Histoire ? Ne pas oublier l’indicible par des mots vecteurs de mémoire.

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Sources 

BICKERTON Derek, Dynamics of a Creole System, Linguistic Society of America, vol. 52, n°4, 1976
CAREY Britney, Hawai’i Creole English: The Path to Understanding
AMAND Émilie, L’insularité chez Patrick Chamoiseau [Texte intégral] Un des ressorts de l’Écriture de la Contre-histoire Paru dans CarnetsDeuxième série – 3 | 2015
CHAUDENSON Robert, Creolization of language and culture, Londres, Routledge, 2001.
FLEISCHMANN Ulrich, Insularité et créolisation : approches théoriques, Iles et Archipels, 1987.
HOUIS Maurice, Genèse des pidgins et des créoles [note critique], dans L’Homme, tome 14 n°2, 1974.
VERONIQUE Georges-Daniel, Emergence des langues créoles et rapports de domination dans les situations créolophones.
MUFWENE Salikoko, Créoles dans Langage et société 2021 / HS1, P. 81-86.
WHINNOM Heith, Linguistic hybridization and the ‘special case’ of pidgin and creoles. In Dell Hymes (ed.), Pidginization and creolization of languages, 91-115. Cambridge: CUP, 1971.