Au sein des langues celtiques, les langues gaéliques occupent une place importante. Riches d’une longue et passionnante histoire, elles sont les témoins — toujours vivants — du passé et du patrimoine celte, irlandais, écossais ou même de celui de l’île de Man, plus méconnue. Petit tour d’horizon des langues gaéliques, de leurs origines jusqu’au XXIe siècle.
Langues gaéliques : de quoi parle-t-on ?
Les langues gaéliques font partie des deux grandes familles qui composent les langues celtiques. Dans ces dernières, on retrouve les langues dites brittoniques, qui sont principalement parlées au pays de Galles et en Bretagne (armoricaine), et les langues gaéliques – également appelées langues goïdéliques. Elles représentent la branche la plus ancienne des langues celtiques insulaires.
Pour être plus précis, les langues gaéliques se composent :
- de l’irlandais, ou Gaeilge, de son appellation sous sa propre langue ;
- du gaélique écossais, ou Gàidhlig ;
- du mannois, ou Gaelg , relatif à l’île de Man, située dans la mer d’Irlande, entre l’Écosse, le Nord de l’Angleterre et l’Irlande du Nord.
Pour se différencier entre elles et parler de leurs proches « cousines », ces langues ajoutent chacune un élément qualificatif au terme « gaélique ». Pour donner un exemple plus concret, en gaélique écossais, il faut dire « Gàidhlig na h-Èireann » pour parler du gaélique irlandais.
Des origines des langues gaéliques à leur statut aujourd’hui
Avant de voir plus en détail comment perdure le gaélique au XXIe siècle, il est important de faire un point historique, pour comprendre ses origines et mieux cerner sa situation actuelle.
L’irlandais
L’irlandais demeure la plus ancienne des trois langues gaéliques, et même la plus ancienne des langues celtiques. Les premières traces connues d’irlandais remontent au IVe siècle – elles apparaissent alors sur des colonnes et des pierres dressées. Cette langue a été amenée par les Gaëls, un peuple celte établi tout d’abord en Irlande, puis jusqu’en Écosse, au nord de la province romaine de Bretagne (ou Britannia), aujourd’hui appelée l’Angleterre.
Il est intéressant de constater que malgré les siècles et plusieurs invasions – notamment normandes – le gaélique a su résister et se maintenir comme la langue la plus parlée en Irlande. Ce n’est vraiment qu’à partir du XVIIIe siècle que son usage va décroître petit à petit, au profit de l’anglais. La faute à l’occupation anglaise pluriséculaire et à la volonté de l’Angleterre de contrôler l’île, entre autres, avec des mesures comme la mise au ban de la culture et de la langue gaéliques. Une diminution de l’usage de l’irlandais qui s’est encore intensifiée au cours du XIXe siècle, après la grande famine et un phénomène d’exode d’un grand nombre de locuteurs.
Il faudra attendre le début du XXe siècle, et plus précisément l’indépendance de l’Irlande en 1921, pour assister à une volonté affichée de réhabilitation de l’irlandais gaélique. En 1937, la langue gaélique est inscrite comme langue nationale dans la Constitution, et un programme d’enseignement obligatoire est instauré dans les écoles.
Aujourd’hui, l’anglais, et son statut de deuxième langue officielle, reste la langue la plus parlée en Irlande. Pour autant, l’irlandais demeure la langue nationale et la première langue officielle du pays. L’apprentissage du gaélique reste d’ailleurs obligatoire, et ce, dès l’école primaire. Malgré la dominance de l’anglais, on constate un regain d’intérêt de la part des Irlandais pour le gaélique. Un peu à l’image – toutes proportions gardées – de l’intérêt pour certaines langues régionales en France.
Selon des chiffres de 2016, plus de 70 000 personnes parlent le gaélique irlandais chaque jour, et plus de 2 millions de personnes en possèdent les bases. On peut aussi noter, par exemple, un essor en écoles (Gaelscoileanna), où le gaélique est la langue d’enseignement, une explosion de sites multimédia sur Internet, ainsi que des émissions de télévision et de radio exclusivement diffusées en gaélique.
le gaélique écossais
Le gaélique écossais est directement issu de l’irlandais. Comme expliqué ci-dessus, sa présence sur les terres qui constituent l’Écosse actuelle viendrait des clans gaëls, après le IVe siècle de notre ère. Au fil du temps et des frontières changeantes, cette langue évolue et diffère du gaélique irlandais initial. Elle remplace même peu à peu les anciennes langues du territoire écossais qu’étaient le picte et le brittonique.
Le gaélique écossais connaît son apogée peu après le début des années 1000, avec notamment la conquête du Lothian en 1018. Mais avec le déclin du royaume d’Écosse, le gaélique va irrémédiablement perdre de son aura culturelle et politique. L’anglais, utilisé dans le domaine des affaires, et même le français, parlé à la cour, relèguent l’écossais au rang de langue rurale.
Mais ce n’est pas fini ! Dès le début du XVIIIe siècle et les rébellions jacobites, le gaélique écossais est réprimé en réponse à ces révolutions. Pire, en 1708, l’exil forcé des habitants des Highlands – les Highlands Clearance – dans des territoires où le gaélique n’est pas parlé, contribue au déclin de la langue. Enfin, dernier élément déterminant : en 1872, le Scottish Education Act interdit purement et simplement d’enseigner une autre langue que l’anglais dans les écoles.
Malgré toutes ces difficultés, le gaélique perdure dans l’Écosse d’aujourd’hui. Dans une volonté de faire perdurer le patrimoine historique et la culture gaéliques, l’enseignement de cette langue est de nouveau autorisé en 1985. Mieux, en 2005, elle obtient le statut de langue nationale en Écosse. Pour autant, l’UNESCO considère toujours le gaélique écossais comme langue en danger. Selon des chiffres de 2011, un peu plus de 57 000 Écossais parlaient le gaélique, principalement dans les Highlands et dans les Hébrides.
Le mannois
Le mannois se veut beaucoup plus ressemblant au gaélique écossais qu’à celui d’Irlande. On estime son apparition aux alentours du Ve siècle et l’arrivée de colons sur l’île de Man.
Au cours du XIXe siècle, le mannois s’est très rapidement retrouvé menacé puis éclipsé par l’anglais. Un déclin accéléré par une récession au milieu du XIXe, qui a poussé bon nombre d’habitants à se tourner vers l’anglais pour trouver un emploi. Pour preuve, selon les chiffres du recensement, dès 1901, seuls 9,1 % des habitants de cette île moitié moins grande que la Corse affirmaient parler le mannois. Un chiffre qui tombait à tout juste 1 % lors des deux décennies suivantes.
Symbole du déclin de cette langue gaélique, Ned Maddrell, le dernier locuteur natif de lîle, meurt en 1974. En 2009, l’UNESCO déclare le mannois comme langue officiellement éteinte.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. L’annonce fait figure d’électrochoc et motive des habitants à lancer des actions permettant de faire perdurer le mannois, voire de le ressusciter. Ils ouvrent alors une école primaire où les cours sont donnés presque exclusivement en mannois.
D’après des chiffres de 2011, un peu plus de 1 800 personnes parlaient mannois en tant que seconde langue, et 50 enfants en tant que langue maternelle. Suffisant pour convaincre l’UNESCO de redonner vie au mannois, et de le classer parmi les langues « en situation critique ».
Assimil vous accompagne…
Assimil vous accompagne dans l’apprentissage de la langue gaélique d’Irlande, grâce à son guide de conversation. Vous découvrirez cette langue langue et ses rudiments et pourrez découvrir un magnifique pays et ses chaleureux habitants.
À quand une méthode Objectif Langues Irlandais ? 😊
Moi, j’achète dix méthodes Sans Peine d’irlandais, s’il le faut ! 🙂
Les langues celtiques comme le gaélique écossais et le cornique sont malheureusement menacées d’extinction au profit de l’anglais…
Bonjour à tous,
Oui, un Objectif langues en gaélique irlandais serait séduisant (même si se pose la question du dialecte enseigné), mais peu probable. En gallois un peu plus, quoique.
Je conseille néanmoins en introduction l’excellent Irlandais de poche (basé sur le dialecte de l’Ulster) ou l’Irisch-Gälisch Wort für Wort (avec CD, basé sur le dialecte du Connacht). Pour une fois, les deux titres sont indépendants (et se complètent).
Une nuance néanmoins entre le cornique, disparu comme langue d’usage quotidien depuis des siècles (même si des passionnés font vivre des variantes reconstruites de la langue), et le gaélique écossais toujours bien vivant dans les îles (même s’il s’agit d’une population limitée).
Et n’oublions pas l’excellente méthode de Divi Kervella!
Kenavo ar wech all!
Bonjour à tou•te•s,
Cet article a le mérite d’attirer l’attention sur les langues celtiques qui, au sein de la famille indo-européenne, n’ont hélas pas eu un destin aussi brillant que leurs cousines romanes, germaniques ou slaves par exemple. Les six qui sont encore parlées aujourd’hui – si on considère que le mannois et le cornique ne sont pas totalement éteints, comme on le verra ci-dessous – ont au total bien moins de locuteurs que d’autres groupes pourtant représentés par une seule langue et ses divers dialectes, grec, arménien ou albanais. Et pourtant, elles ont réussi à se maintenir malgré tout, et on constate même depuis la dernière partie du siècle dernier un renouveau certain de l’intérêt qu’elles suscitent.
La classification de ces langues a, comme souvent en ce qui concerne cette question, été sujette à différentes hypothèses. On a notamment voulu les rattacher au latin et à ses antiques parents au sein d’un groupe italo-celtique dont l’existence est maintenant rejetée. Les spécialistes s’accordent assez généralement pour distinguer entre celtique continental, comprenant des langues aujourd’hui disparues comme le gaulois, le galate et le celtibère, et celtique insulaire. Ce dernier réunit à la fois les langues goïdéliques (terme qui me semble préférable, celui de gaélique s’appliquant plutôt, selon la terminologie la plus récente, au « gaélique d’Écosse », par opposition à l’irlandais et au mannois) dont il est question dans l’article, qui ont évolué à partir du vieil irlandais attesté dès le IVe siècle par les inscriptions oghamiques, et les langues brittoniques que sont le gallois, le breton et le cornique, et dont l’ancêtre probable le plus ancien est le picte. Bien entendu, les choses ne sont pas aussi simples et là encore tous les celtistes ne sont pas d’accord.
En ce qui concerne les langues goïdéliques, le gaélique fait preuve d’une belle vitalité, ainsi que le souligne justement Yann, en dépit du fait qu’il n’est parlé que par environ 70000 personnes. Mais il est présent à la radio et à la télévision (notamment avec BBC Radio nan Gàidheal et BBC Alba), et il bénéficie du soutien du gouvernement écossais et de plusieurs organismes comme ‘Cothrom’ (« Chance », et aussi « Justice »). L’édition en gaélique, sous l’égide du ‘Comhairle nan Leabhraichean’ (« Conseil des livres ») est elle aussi active. Une des preuves du maintien de la langue, peu souvent soulignée, est le fait qu’elle conserve ses sons spécifiques bien différents de ceux de l’anglais, là où d’autres « langues de minorités » ont subi l’influence de la prononciation de la langue dominante (le breton ou l’occitan du français, par exemple, ou le basque du français et du castillan), au point de perdre parfois, dans la bouche de certains locuteurs récents, leur « identité phonétique » propre.
Le mannois semble avoir encore un petit nombre de locuteurs natifs et a connu tout au long du siècle dernier un renouveau grâce notamment à ‘Yn Çheshaght Ghailckagh’ (« Société de la langue mannoise ») et ‘Undinys Eiraght Vannin’ (« Fondation pour le patrimoine mannois ») qui en assurent la promotion.
Parmi les langues brittoniques, le cornique constitue un exemple assez étonnant de langue revitalisée qu’on pourrait comparer, toutes proportions gardées, à celui de l’hébreu. En effet, après sa disparition presque complète en tant que langue parlée, plusieurs érudits se sont efforcés de le standardiser en s’appuyant notamment sur l’importante littérature cornique médiévale, créant ainsi une forme reconstruite de la langue qui n’a été d’abord utilisée qu’à l’écrit. Mais peu à peu des enthousiastes l’ont fait revivre à l’oral, certains parents s’efforçant même de transmettre la langue à leurs enfants pour en faire les premiers locuteurs natifs après des décennies. Il reste encore du chemin à parcourir pour un retour complet à l’usage quotidien du cornique, mais on estime déjà à quelques milliers les personnes en ayant une connaissance au moins passive. Les autorités britanniques, bien moins frileuses que les nôtres, ont reconnu le cornique dès 2002, et la langue, placée sous l’égide du ‘Konsel Kernow’ (« Conseil des Cornouailles »), est enseignée dans les écoles ‘dalleth’ (« Commencement ») et pratiquée lors de réunions appelées ‘Yeth an Werin’ (« Langue du peuple ») qui se tiennent régulièrement dans de nombreuses localités.
Bonne soirée,
Michel.
Bonjour à tous,
Merci pour ces compléments, Michel. La situation du gaélique (je garde ce terme) écossais a en effet été renforcée par l’arrivée au pouvoir du SNP (comme d’une certaine manière celle du scots) et est bien vivante (p ex la signalisation bilingue lors des dernières élections législatives).
Le parallèle entre la (re)création de l’hébreu moderne et celle du cornique me semble également très juste, même si ce dernier n’a malheureusement ni l’appui réel des autorités politiques, ni ne bénéficie d’une forte prise de conscience collective. Je suis moins confiant que Michel. Malgré les efforts réels des différentes associations depuis les années 1980, on arrive difficilement à 600 locuteurs réels, soit 0,1% de la population de la Cornouaille (augmentation constante mais lente : de 300 il y a 20-25 ans).
Autre problème, le dernier locuteur étant mort avant 1800 (la date « officielle » est 1777), il était difficile de recréer cette langue sans variante standard et sans enregistrement audio (contrairement au mannois). D’où la profusion d’initiatives, parfois contradictoires, depuis le début du XXe siècle (United Cornish, Common Cornish, Revived Cornish et enfin, en 2008, une norme standard) qui n’a pas facilité la renaissance du cornique.
Pour ceux qui aiment la linguistique comparée, le Petit Prince a été traduit dans les six langues celtiques et en BD, Astérix et Tintin existent dans les 4 principales (deux albums de Tintin ont même été publiés en cornique, par la courageuse maison d’édition galloise Dalen).
Bonne fin de journée, Yann
Pour ceux qui aiment les traductions du Petit Prince, l’éditeur allemand Tintenfass Verlag s’est spécialisé dans la traduction du livre de Saint-Exupéry dans des langues peu répandues (ici: https://www.verlag-tintenfass.de/ ).
Il y a notamment, dans le cadre d’un projet du CNRS, des traductions dans neuf patois du Croissant (parlés, ou naguère parlés, dans des villages de l’Allier, de la Creuse, de l’Indre, etc.). et même les mille premiers mots en bas-marchois, en bavarois, en bruxellois, en yiddish, etc.
Plus rare: des traductions du Petit Prince dans des langues minoritaires de Russie (bouriate, komi, mari, mordve).
Au passage, je signale que, pour des raisons qui me sont inconnues, plusieurs de ces peuples ont changé de nom entre la Russie tsariste et la Russie soviétique. Ainsi, on parle toujours de saint Etienne de Perm, évangélisateur des Zyrianes au XIVe siècle, pour nous dire que ce peuple s’appelle aujourd’hui les Komis.
Bonjour Claude, bonjour tout le monde,
La raison principale du changement de nom de certains peuples semble liée au fait que les appellations traditionnelles ont parfois une connotation dépréciative, voire carrément raciste.
Dans le cas des Komis, par exemple, leur nom actuel (qui n’est toutefois pas une création récente et était d’usage courant chez les Finnois, de préférence à celui de syrjääni) est expliqué étymologiquement soit par celui de la rivière Kama, soit par la racine du protopermien (une des branche de la famille finno-ougrienne) ‘‘ком’’ signifiant « être humain » (on sait que de nombreux peuples dans diverses partie du monde se définissent de la sorte). Face à ça, le terme de Zyriane serait dérivé de mots faisant référence à la bière, ou à l’ivrognerie…
En dehors de l’U.R.S.S., un certain nombre de peuples ont également changé de nom pour des raisons similaires, comme les Sames (initialement les Lapons, mot qui viendrait du suédois ‘‘lapp’’, « chiffon, haillon ») ou les Inuits (Esquimau, dont l’un des sens d’origine pourrait être « mangeur de viande crue », étant considéré comme dépréciatif, bien que certains peuples désignés par ce terme ne le récusent pas).
Il faut toutefois souligner que plusieurs de ces étymologies sont très peu sûres et qu’il est possible qu’on ait eu affaire dans certains cas à une « hypercorrection » culturelle en vertu de laquelle, au nom en quelque sorte du principe de précaution, on aurait préféré, dans le doute, adopter une dénomination inattaquable.
Un autre cas expliquant le changement de nom peut être la volonté des peuples concernés eux-mêmes de faire adopter leur endonyme en remplacement du nom qui leur avait été attribué par d’autres, souvent des conquérants. Ainsi, les Tcherkesses (appelés également Circassiens en français) se reconnaissent plus volontiers sous l’appellation d’« Adygués » (адыгэ), qui s’applique à un ensemble de peuples du Caucase septentrional. Le terme de « Tcherkesse » est d’origine turque et a été repris par les Russes et l’ensemble des Européens à leur suite. Si son étymologie est peu claire, elle ne semble pourtant pas contenir de sous-entendu insultant à l’égard de ce peuple.
On peut noter que ce genre de changement de nom n’est pas rare dans l’histoire, au gré des connaissances qu’apportent différentes sources, « connaissances » reposant d’ailleurs parfois sur des erreurs d’identification de la part des descripteurs. Ainsi, pour rester chez les Tcherkesses, ils ont été désignés aussi par les mots Zige, Kassoge, Méote, Psesse, et d’autres encore.
Bon après-midi,
Michel.
Cher Michel,
Merci beaucoup pour ces précisions. Je suis impressionné par tes connaissances de ces peuples finno-ougriens.
En ex-Union soviétique, je pense aussi au cas des Ossètes (peuple iranien, et non finno-ougrien) auxquels les historiens russes ont expliqué qu’ils étaient les descendants des Alains, alors que leur mémoire collective n’en avait absolument pas gardé le souvenir. D’où l’existence, parmi les sujets de la Fédération de Russie, d’une République d’ Ossétie du Nord-Alanie, et les tentatives pour rétablir en Ossétie du Sud (république dissidente de la Géorgie) l’ancienne métropole orthodoxe d’Alanie qui existait au Moyen Âge. C’est un exemple de réappropriation historique.
Cordialement,
Claude
Bonsoir Claude,
Oui, les Ossètes constituent aussi un cas très intéressant. Si une majorité de spécialistes les reconnaissent bien comme Indo-Européens, cette opinion a pu être contestée au regard notamment de la langue, dont la structure et une importante proportion du vocabulaire la rapprochent de langues d’autres familles parlées dans le Caucase. Il est cependant établi de façon assez sûre que l’ossète partage une origine commune avec les langues indo-iraniennes. Des mots comme ӕз (« je, moi »), мӕ (« mon, ma »), ды (« tu, toi »), нӕ (« non, ne pas »), дыууӕ (« deux »), дӕс (« dix »), сӕдӕ (« cent »), мад (« mère »), æйк (« œuf »), мыд (« miel »), pour n’en citer qu’une dizaine parmi les plus évidents, appartiennent au fonds indo-européen qu’on retrouve dans les langues romanes, germaniques ou slaves entre autres.
L’ossète a deux dialectes principaux, considérés parfois comme deux langues distinctes étant donné qu’ils se différencient assez nettement : l’iron (ирон), majoritaire et qui est à la base de la langue littéraire, et le digor (дигурон ou дыгурон). On a pu voir dans « iron » la continuation du terme sanskrit आर्य ārya (« noble »), d’où provient également le nom de l’Iran.
L’origine du peuple ossète a elle aussi fait l’objet d’âpres discussions, et la filiation directe avec les Alains était en effet la théorie officielle en Union Soviétique, et a continué à l’être après elle, puisque le nom de la République d’Ossétie du Nord s’est vu ajouter comme tu l’indiques le terme d’Alanie en 1995. L’Oblast Autonome d’Ossétie du Sud, partie sécessionniste de la Géorgie occupée par la Russie, se définit de son côté comme République d’Ossétie du Sud – État d’Alanie. Mais ces références à des ancêtres jugés prestigieux (les Alains, eux-mêmes censés être descendants des Scythes, ont occupé de vastes territoires en Europe occidentale et Afrique du Nord) reposent en grande partie sur une interprétation sans grande rigueur scientifique. Il faut admettre que la réalité est complexe, et tant dans le domaine linguistique que génétique, il est probable que la situation actuelle résulte d’un grand nombre de mélanges et influences croisées, comme on en observe partout dans le Caucase. Il serait très long et surtout très difficile d’essayer d’entrer dans le détail de tout ce qui a été écrit sur le sujet depuis la fin du XIXème siècle.
Un éclairage indirect sur ces questions est fourni par l’épopée des Nartes, personnages légendaires que l’on retrouve dans les récits de divers peuples du Caucase, en particulier les Ossètes et les Tcherkesses-Adygués. Georges Dumézil, à l’appui de la théorie de la tripartition fonctionnelle des sociétés indo-européennes, l’a analysée dans le premier volume de son remarquable ouvrage ‘‘Mythe et Épopée’’, en la comparant avec le Mahābhārata et les textes relatant les origines de Rome, l’Énéide en premier lieu. Il y cite des passages en ossète (ainsi que dans d’autres langues comme l’abkhaze) en translittération latine.
Bonne fin de soirée,
Michel.
Bonjour à tou·te·s,
Je dois bien avouer que je pensais ce bloc-notes définitivement mort, l’article concernant les langues « gaéliques » étant resté bien longtemps sans suite.
Je me rends compte aujourd’hui que plusieurs autres sont parus au cours des dernières semaines, et je me réjouis donc de ce redémarrage, en espérant qu’il ne sera pas éphémère.
Je ne laisserai pas s’achever cette journée particulière sans adresser des vœux sincères, à tous les visiteurs de ce site (et en particulier aux contributeurs réguliers : Chris, Gastón, Yann, Claude, Halokkin, Francesca… ainsi que ceux et celles que j’oublie peut-être, en m’en excusant) et à Assimil, en souhaitant que viennent s’ajouter en 2022 beaucoup de surprises aux nouveautés et rééditions d’ores et déjà annoncées.
Bon week-end,
Michel.
Bonsoir Monsieur Bellion,
Il semblerait qu’il n’y ait pas de projets pour certains
« perfectionnement » assimil car il n’ y a rien sur le catalogue 2022
Cordialement
Merci Michel, à toi et à tous les participants au bloc-notes je souhaite le meilleur pour cette année 2022 !
Et bonne fête des Rois aujourd’hui ☺
Francesca