Photo : la ville de Jiangyong

Le nüshu représente aujourd’hui le seul système d’écriture au monde créé et utilisé exclusivement par les femmes. Apparue il y a plusieurs siècles dans le sud-est de la Chine, cette façon d’écrire intéresse à nouveau les linguistes. Qu’est-ce qui caractérise cette écriture ancienne ? Pourquoi fait-elle à nouveau parler d’elle ? Tout ce qu’il faut savoir sur le nüshu.

Le nüshu, de quoi parle-t-on ?

L’origine du nüshu — l’écriture des femmes — n’est pas datée avec précision, mais certains experts pensent que cette culture a été créée vers la fin de la dynastie des Song (960-1279). C’est dans le comté de Jiangyong, dans le Hunan, au sud-est de la Chine, que le nüshu prend de l’ampleur, au XIXⷷ siècle. Il s’agit avant tout d’un système d’écriture créé par les femmes, à l’époque exclues de l’éducation et généralement illettrées, leur permettant de garder le contact et d’échanger sur leur vie personnelle. Des chants, des légendes ou des vœux pouvaient également être retranscrits, principalement sur des éventails en papier, des petits livres ou du tissu.

Transmis de mère en fille, ce moyen d’expression disparaît toutefois progressivement dès le XXⷷ siècle, car les filles commencent à avoir accès à l’enseignement de l’écriture chinoise, l’école étant rendue obligatoire pour tous. De plus, après 1949, le pouvoir communiste n’apprécie guère le nüshu, le taxant alors d’« écriture de sorcières » puis de « vieillerie » durant la Révolution culturelle. De nombreux écrits en nüshu ont été brûlés ou détruits.

Cette écriture syllabique a été remise sur le devant de la scène dans les années 1980 par Cathy Silber, professeure de chinois au Skidmore College de New York. Avant cela, Zhou Shuoyi, un officiel du Centre culturel de Jianyong à la retraite, s’était lui aussi intéressé au nüshu, avant d’être stoppé dans ses recherches par la Révolution culturelle de Mao Zedong. Il a pu reprendre ses travaux en 1979 et créer, notamment, un dictionnaire comprenant plus de 1 800 caractères de l’ancienne écriture, ainsi que des explications sur le style ou la prononciation.

Les spécificités de l’écriture nüshu

Le nüshu est une écriture composée de plus de 1 000 caractères, proches des signes chinois. Les sinogrammes sont toutefois plus longs et plus fins, les traits incurvés et accompagnés de points précis, de virgules et d’arcs. Pour ces raisons, ce système de notation est parfois appelé « écriture de moustique ».

Le nüshu, qui se lit de droite à gauche, est une écriture syllabique et phonétique. En d’autres termes, il s’agit d’une écriture qui transcrit les sons de quatre dialectes locaux parlés dans le comté de Jiangyong. Chaque symbole représente une syllabe.

L’objectif du nüshu : relier les femmes

La naissance du nüshu est avant tout liée au contexte social et culturel de l’époque. La province de Hunan où s’est développée cette notation de dialectes est constituée de petits villages de montagne reculés et difficiles d’accès. Par ailleurs, les femmes sont dépourvues de tout statut social et l’autorité du mari est très forte. Le nüshu est donc un moyen de communication créé par elles et pour elles, afin de garder le contact à distance, ou de chanter ensemble, de lire des récits ou des poèmes lors de petites réunions entre femmes.

Par exemple, Yi Nianhua, l’une des dernières femmes à avoir pratiqué le nüshu en 1987, a appris ce type d’écriture avec sa tante. À l’époque, elle explique qu’il était impossible pour une jeune fille de ne pas l’étudier, au risque de subir des moqueries, de se faire écarter des « cercles de copines » et de ne pas pouvoir participer aux petites réunions féminines.

Il est important de souligner que le nüshu n’avait pas de caractère secret, et qu’il n’était pas ouvertement porteur de revendications (féministes, notamment). Son enseignement et son apprentissage étaient connus et acceptés, et les hommes n’étaient pas absolument exclus de cette forme d’écriture. S’ils n’utilisaient pas le nüshu, c’est avant tout par manque d’intérêt de leur part, et non par rejet des femmes.

Ce moyen de communication avait pour principal objectif de relier les femmes entre elles, d’entretenir leur amitié, de faire face aux difficultés domestiques et sociales. Le nüshu est ainsi la réponse des femmes à leur exclusion de l’éducation, leur moyen d’expression et d’émancipation.

Et aujourd’hui ?

Le nüshu a été révélé au grand public en 1995 à Pékin, lorsque sa dernière « pratiquante » Yang Huanyi est invitée à la troisième conférence de l’ONU sur les femmes. Le nüshu devient ainsi le premier système d’écriture inscrit sur la liste des traditions à préserver par le conservatoire de l’héritage culturel chinois. Lorsque Yang Huanyi décède, en 2004, le nushü refait à nouveau parler de lui.

Des actions de sauvegarde ont également été mises en œuvre. On peut citer la création, en 2002, d’un « Village de la culture nüshu » à Jiangyong, composé d’un musée, de salles d’exposition ou encore de démonstrations de chants.

En 2011, l’écrivaine Lisa See écrit « Fleur de Neige », un roman abordant plusieurs thématiques liées aux femmes en Chine ancienne, s’attardant longuement sur la communication par le biais du nüshu. La version cinématographie de cet ouvrage sort la même année, donnant de la visibilité à cette écriture syllabique ancienne.

Depuis, le nüshu fait parfois l’objet de cours universitaires en Chine, devenant une forme de préservation et d’héritage. Zhao Liming, une chercheuse dans l’étude de cette écriture, affirme désormais que le nüshu « a terminé sa mission historique — un outil culturel pour les femmes ouvrières de la classe inférieure qui n’avaient pas le droit à l’éducation. Maintenant, il ne laisse aux générations futures que la belle calligraphie, la sagesse et l’esprit courageux ».

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