La charte olympique est formelle : le français est, avec l’anglais, la langue officielle des Jeux Olympiques. Pourtant, la langue de Molière perd du terrain depuis quelques années au profit de celle de Shakespeare. De quoi s’inquiéter après les jeux de rio et à l’heure où s’ouvrent les Jeux Olympiques d’hiver à PyeongChang en Corée du Sud ? Assimil vous répond.
Le français : langue officielle des JO selon la charte olympique
Combien de personnes savent-elles que le français est la première langue du Comité international olympique (CIO) et donc « LA » langue officielle des Jeux Olympiques ? Sans doute peu de monde si l’on en croit les réactions des spectateurs britanniques qui semblaient contrariés lors de l’entrée dans le stade olympique de la Reine Elisabeth à la cérémonie d’ouverture des Jeux de Londres en 2012. La raison ? L’arrivée de Sa Majesté a été annoncée d’abord en… français, puis en anglais. Il n’y a pourtant rien de très surprenant à cela si l’on jette un rapide coup d’œil à la charte olympique.
En effet, ce document publié en 1908 – qui reprend certaines règles écrites par Pierre de Coubertin en 1899 – dispose via l’article 24 que « les langues officielles du Comité International Olympique sont le français et l’anglais » (énoncées dans cet ordre). Qui plus est, « en cas de divergence entre le texte français et le texte anglais de la Charte olympique et de tout autre document du CIO, le texte français fera foi, sauf disposition écrite contraire ».
Afin de garantir le respect de cette règle, une personnalité du monde francophone est chargée d’observer la place du français lors de chaque rendez-vous olympique. En 2012 à Londres, il s’agissait de Michaëlle Jean, ancien gouverneur général du Canada. Elle devait, entre autres, vérifier que tous les sites olympiques utilisaient bien la langue de Molière. Cette fonction de Grand Témoin a été créée en 2004 pour les Jeux Olympiques d’Athènes par le CIO suite au non-respect du bilinguisme franco-anglais lors des Jeux précédents. A noter qu’en 2008 à Pékin, cette mission avait été confiée à un certain Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre français.
Malheureusement, malgré tous les efforts fournis par ces Grands Témoins, « le français s’est retrouvé doucement hors-Jeux » remarquait le journaliste Patrick Lafayette, à la suite des J.O. d’hiver de Sotchi 2014. Ce qui n’empêche pas l’OIF de poursuivre la nomination de ces Grands Témoins, Manu Dibango à Rio et désormais l’ancienne ministre et polyglotte Fleur Pellerin pour les jeux d’hiver à Pyeongchang en Corée du Sud. Signalons au passage que Fleur Pellerin est née à Séoul, qu’elle apprend le coréen et qu’elle parle déjà l’allemand, l’anglais et le japonais.
Le français perd du terrain sur l’anglais
Certains jugent l’omniprésence du français aux Jeux Olympiques obsolète et demandent que son statut de langue officielle soit revu. Leur principal argument ? L’utilisation de deux langues officielles – le français et l’anglais – engendrerait des coûts supplémentaires (notamment concernant la traduction et l’édition des documents officiels et règlements). Il serait donc plus logique, selon les partisans d’une évolution linguistique des protocoles et règlements du CIO, d’utiliser l’anglais, désormais langue universelle, ainsi que la langue du pays hôte.
Un discours qui fait bondir le responsable de l’Observatoire de la langue française, Alexandre Wolff : « Contrairement à ce que beaucoup pensent, l’anglais ne facilite pas la communication. Son usage systématique dégrade sa pratique et ne favorise pas l’intercompréhension. C’est particulièrement préjudiciable dans des enceintes où l’on cherche des consensus ». Difficile de le contredire au vu de l’exemple maintes fois observé des traducteurs qui doivent d’abord retranscrire un anglais international très approximatif en anglais académique, avant qu’il ne puisse être traduit dans les autres langues. Avant d’ajouter : « si un jour le français disparaissait du paysage olympique, il ne serait remplacé ni par l’espagnol, ni par le chinois. La présence du français aux Jeux garantit la diversité culturelle de l’événement. L’OIF défend avant tout le plurilinguisme. Il faut certes trouver un équilibre et se montrer pragmatique. Mais se résoudre à un unilinguisme de fait serait une grave erreur ».
Mais alors, comment la jouer « franc-Jeux » ?
Les Jeux Olympiques de Rio avaient recruté huit mille volontaires, avec pour mission d’être « la voix des Jeux Olympiques », et qui étaient affectés à la section « protocole et langues ». Parmi les services linguistiques que ces volontaires proposaient : l’interprétation en plus de trente langues de tout ce qui se passait durant les jeux – y compris l’amharique, langue officielle de l’Ethiopie, le swahili (Kenya) et l’ourdou (Pakistan) – ainsi que l’accompagnement des délégations venues de plus de deux cents pays.
Visiblement, les Coréens ont pris une tout autre option, beaucoup plus technologique puisqu’ils promettaient des services de traduction et d’interprétation automatiques ultramodernes. Il conviendra, à l’issue de cette olympiade, de faire le point sur l’efficacité des ces technologies. On se trouve ainsi face à un véritable test grandeur nature pour ces solutions high tech et notamment l’application Genie Talk destinée à traduire du coréen vers d’autres langues et vice-versa.
Pour redorer l’image du français à plus long terme, l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) va devoir poursuive ses efforts de développement et de mise à disposition de l’expertise francophone, avec la création d’un réseau de jeunes traducteurs et interprètes, ainsi que de plusieurs professionnels ayant une expérience olympique. L’objectif ? Maintenir un haut niveau d’exigence sur la qualité des traductions proposées. À ce titre, le site internet « Le français j’adore » doit également devenir un réel outil de sensibilisation et de mobilisation du grand public, en particulier en direction des jeunes, afin de valoriser en français le sport francophone et international.
Au-delà des J.O. et du sport, les enjeux sont majeurs pour le français. Selon Claude Hagège, professeur au Collège de France, « imposer sa langue, c’est aussi imposer sa manière de penser, car la langue structure la pensée d’un individu. Certains croient qu’on peut promouvoir une pensée française en anglais : ils ont tort ». Il en veut pour preuve cette affirmation du grand mathématicien Laurent Lafforgue : « Ce n’est pas parce que l’école de mathématiques française est influente qu’elle peut encore publier en français ; c’est parce qu’elle publie en français qu’elle est puissante, car cela la conduit à emprunter des chemins de réflexion différents ». À bon entendeur…
Article mis à jour le 9 février 2018
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