La crise sanitaire a apporté son lot de bouleversements, y compris dans le domaine linguistique. En Allemagne, l’épidémie de coronavirus et le confinement sont en effet à l’origine de nouveaux mots de vocabulaire. Combien de nouveaux termes liés à la COVID-19 sont apparus en Allemagne ? Quels sont les messages véhiculés par ces nouveaux mots du confinement ?
Plus d’un millier de nouveaux mots allemands
Il y a les maux et les mots. En Allemagne, l’épidémie de coronavirus n’a pas créé que des souffrances, qu’elles soient physiques, psychologiques ou émotionnelles. De nouveaux mots de vocabulaire ont également émergé durant la crise sanitaire, laissant une place au positif dans une actualité autrement bien sombre.
Selon l’Institut de linguistique Leibnitz, 1 200 nouveaux mots sont en effet apparus dans la langue allemande avec la crise sanitaire en 2020. Hors période de COVID-19, la moyenne se situe aux alentours de 200 mots créés par an. Une évolution linguistique aussi rapide qu’inédite.
Pourquoi l’allemand permet-il de créer autant de néologismes ?
La langue allemande est l’une des mieux placées pour exprimer des idées nouvelles et très précises, car sa néologie repose sur un mécanisme simple. En allemand, il est en effet possible de juxtaposer des mots comme on le souhaite pour exprimer une idée, quitte à créer de nouveaux substantifs, dont la longueur et les combinaisons peuvent être infinies. Les Allemands ont donc eu tout le loisir d’inventer de nouveaux mots sur le thème du coronavirus, via ce système simple et efficace. En français, le mécanisme le plus proche est l’usage du trait d’union.
L’expression du quotidien en période de crise sanitaire
Ce nouveau vocabulaire allemand reflète assez précisément les sentiments ressentis durant cette période exceptionnelle d’épidémie, au rang desquels la lassitude, l’anxiété, la distanciation sociale ou encore la solitude. Parmi ces mots nouveaux, on peut notamment citer :
- coronaangst, l’anxiété liée au coronavirus ;
- coronamüde, la lassitude liée à la crise ;
- impfneid, l’envie ressentie en voyant une personne se faire vacciner ;
- abstandsbier, une bière à distance ;
- britenvirus, le variant britannique du virus ;
- coronahysterie, l’hystérie du coronavirus ;
- coronahund, les « chiens-coronavirus » adoptés pour mieux vivre la solitude du confinement ;
- coronafrisur, la « coiffure-corona » pour parler de la privation de coiffeur et des déboires occasionnés ;
- geistermodus, les matchs de football en « mode fantôme », sans spectateurs ;
- impfgegner, les « anti-vaccins » ;
- AHA-Regel (Abstand, Hygiene, Alltagsmaske), les trois règles sanitaires « distance, hygiène et port du masque », etc.
Par ailleurs, des mots à connotation positive ont également vu le jour, notamment pour évoquer les actes solidaires ou amusants nés lors de la crise.
- Gabenzaun : le cadeau accroché à la clôture, en référence aux sacs de nourriture que les gens accrochaient sur des clôtures pour des personnes dans le besoin.
- Balkonsänger : le « chanteur de balcon » pour désigner les musiciens qui animaient les journées de leurs voisins lors du confinement.
- Einkaufshelfer : les personnes qui font les courses de leurs proches ou de leurs voisins pour leur venir en aide.
- Coronasex : le sexe en portant des vêtements de protection contre le virus, ou lors de la période de confinement, etc.
Mettre des mots sur la crise sanitaire
Pourquoi ces nouveaux mots sont-ils apparus ? Pour pallier un sentiment d’angoisse et d’instabilité lié au Covid-19, selon Christine Möhrs, chargée de rassembler le nouveau lexique allemand pour l’Institut Leibnitz. D’après elle, « les choses qui n’ont pas de nom peuvent amener les gens à ressentir de la peur et de l’insécurité ». En mettant des mots sur le coronavirus, il devient en effet possible de communiquer plus facilement sur le sujet, de nommer les différents phénomènes et de favoriser les échanges, indispensables en temps de crise.
Pour certains journalistes allemands, ce nouveau lexique répond simplement à un manque de vocabulaire pour décrire ce phénomène inédit qu’est la crise de la COVID-19, les mots existants n’étant plus suffisants. La magazine hebdomadaire allemand Stern parle ainsi d’une véritable « créativité linguistique » des Allemands stimulée par la crise, et beaucoup plus importante que dans les pays voisins.
Le saviez-vous ?
Depuis 2008, les jeunes Allemands élisent le mot de l’année, via un vote en ligne organisé par l’éditeur Langenscheidt. Le mot qui arrive en tête du classement en 2020 révèle, encore une fois, l’angoisse et l’incertitude ressentie durant la crise sanitaire, puisqu’il s’agit du mot anglais « lost » (perdu).
Et après ?
Ces 1 200 nouveaux mots allemands nés durant la crise sanitaire ont été dénichés par une équipe de trois personnes travaillant au sein de l’Institut Leibnitz. Presse, réseaux sociaux, web… Tout a été scruté à la loupe pour extraire ce nouveau vocabulaire, mais que va-t-il devenir ? Les mots les plus utilisés seront peut-être rassemblés dans un dictionnaire qui rappellera cette période de crise sanitaire, mais difficile de connaître les termes qui vont rester, et ceux qui risquent de tomber dans l’oubli.
Toutefois, ce qui est sûr, c’est que cette période d’épidémie exceptionnelle est loin d’avoir fini de faire parler d’elle. Les nouveaux mots allemands liés au coronavirus sont donc susceptibles d’être utilisés encore longtemps pour parler de cette crise, ou écrire à son sujet.
Assimil vous accompagne…
Apprenez l’allemand grâce au pack téléchargement de la collection sans peine.
Bonjour,
Je serais curieux de savoir si la nouvelle version de l’allemand « sans peine » de B. SCHÖDEL va enseigner tous ces néologismes liés au virus SARS-CoV-2 (!)
En espérant que non…
Cette pandémie nous pourrit suffisamment la vie, n’en rajoutons pas une couche !
En français, depuis le début de la pandémie, l’acronyme « PCR » n’a jamais été autant prononcé par l’ensemble de la population…
Mais combien de personnes savent réellement ce qu’est une PCR (sachant qu’une PCR n’est pas systématiquement liée au Covid; loin de là) ??
Même chose pour le terme « antigénique ».
Bonjour à tou·te·s,
Tout cela ne doit pas nous faire oublier que l’allemand n’est pas la seule langue dans laquelle de nouveaux mots ou expressions sont apparus suite à la crise sanitaire, ni surtout la seule susceptible d’en générer. En fait, la plupart en ont vu naître, comme chaque fois qu’un phénomène nouveau se produit, ou qu’un objet nouveau voit le jour : la première chose à faire n’est-elle pas de le nommer, de le définir, de le caractériser ? D’ailleurs, cet article renvoie à celui du 14/12/2020 intitulé ‘Quels sont les mots nouveaux du Petit Robert 2021 ?’ qui souligne que le français a lui aussi été « touché par la pandémie ». Et dans le même registre, celui du 20/9/2020, ‘Comment la langue des signes s’est adaptée à la crise sanitaire du Covid-19’, met également ce fait en lumière.
À ce sujet, je ne peux résister au plaisir de citer un ex-collègue qui, dès les premières semaines de la pandémie, m’avait exprimé sa crainte de se faire « coronavirer ».
J’ai repéré au cours de l’année écoulée beaucoup de néologismes liés à la crise dans plusieurs langues, dont les plus amusants sont les mots-valises qui témoignent de l’imagination, au demeurant plus ou moins consciente, de ceux qui les créent.
En voici quelques exemples pour le russe :
– ковидиот, l’un des plus faciles à comprendre, calque de l’anglais, formé sur ковид, « covid », et идиот, « idiot », qui désigne une personne qui refuse de respecter les mesures de distanciation et, plus généralement, met en doute la gravité de la situation sanitaire. Nous pourrions facilement le traduire par « covidiot », d’autant que la Real Academia Española a accepté « covidiota », mot qu’on rencontre aussi en portugais.
– коронавт, mot à la résonnance particulière en russe, surtout au moment du 60ème anniversaire du vol spatial de Youri Gagarine, s’appliquant à une personne qui, à l’inverse de la précédente, par crainte du корона, « corona », ne se contente pas d’un masque de protection, mais utilise aussi lunettes, gants, blouse médicale et couvre-chaussures, finissant par ressembler un peu à un космонавт, « cosmonaute ». L’équivalent dans notre langue serait bien sûr « coronaute ».
– корониал, encore un calque d’origine anglaise, qui me semble très utilisé pour caractériser un jeune ou un enfant de la période actuelle, faisant écho au fameux миллениал, « millénial » et qu’on pourrait traduire par « coronial » ou gloser par « membre de la génération covid ».
– карантинка, pour en venir à un mot un peu plus russe de formation en dépit de son étymologie latine, qui désigne un court texte, affectueux et souvent humoristique, envoyé à un·e ami·e en période de confinement. Il provient de l’amalgame de карантин, « quarantaine », et валентинка, « carte de la Saint-Valentin ». Une traduction en français pourrait être « carte de la Saint-Quarentin ».
– голомордый, mot qui est, lui, tout à fait russe, combinant голый, « nu », et морда « gueule » (qui comme en français s’applique d’abord aux animaux, et ensuite aux humains de façon dépréciative) et désignant quelqu’un qui refuse de porter un masque, qu’on pourrait appeler en français par exemple un « va-nu-gueule ».
En portugais, pour citer au moins une seconde langue, j’ai rencontré entre autres :
– infodemia (informação + epidemia) qui désigne le flot continu d’informations que la crise suscite.
– tranca-rua (trancar, « verrouiller », + rua), joli synonyme portugais de « lockdown ».
– telescola (televisão + escola), qui n’est pas véritablement un néologisme mais, après avoir désigné la « télévision scolaire » proprement dite, s’applique plus généralement à l’enseignement à distance.
– coronha, employé au Brésil, qui signifie en principe la « crosse d’une arme à feu » mais s’applique, en raison de sa proximité phonétique avec corona, à la maladie en soulignant les dangers qu’elle fait courir.
– coronga, autre terme spécifiquement brésilien pour désigner la maladie, qui agglutine corona et coringa, « joker ». La référence au personnage du Joker donne au terme une connotation sinistre.
Chris, Gastón, Yann, Claude et les autres, il est probable que vous ayez entendu ou lu dans les langues que vous pratiquez plus d’un terme se rattachant à cette thématique. Pouvez-vous en indiquer les plus frappants ou les plus cocasses ?
Bon après-midi,
Michel.
Bonjour Michel,
C’est intéressant avec tous ces nouveaux mots ! En suédois, les plus répandus sont:
– HEMESTER → hem (maison) + semester (vacances): passer les vacances à la maison
– CORONAFRILLA → corona + frilla [frisyr] (coupe de cheveux): quand on n’a pas eu l’occasion d’aller chez le coiffeur à cause de la pandémie
– KARANTÄNKOMPIS → karantän (quarantaine) + kompis (ami, copain): ami avec qui on passe la quarantaine
– HOSTSKAM → host (toux) + skam (honte): quand on a honte de tousser en publique
– LUFTSKAM → luft (air) + kram (étreinte, prendre quelqu’un dans les bras [hug!]): « air hug »
– CORONIAL → quelqu’un qui a été conçu ou bien né pendant la pandémie
– KALSONGJOBB → kalsong (caleçon) + jobb (travail): travail qu’on peut faire sans même mettre des pantalons
– CORONAHAMSTER → corona + hamster: quelqu’un qui achète de tout en grandes quantités pour se « stocker ».
– CORONAHÄNDER → corona + händer (mains): quand on se lave trop souvent les mains et qu’elles deviennent sèches
– FJÄLLSKAM → fjäll (montagnes [où l’on peut faire du ski]) + skam (honte): quand on a honte d’aller passer un weekend ou des vacances à la montagne, ou bien comme l’anglais « to shame someone » qui, malgré les restrictions, sort de chez soi et, par exemple, utilise les transports en commun ou va au restaurant dans les stations de ski
– QUARANTINI → karantän (quarantaine) + martini: ça s’explique tout seul !
– KARANTRÄNING → karantän (quarantaine) + träning (faire du sport)
– CORONAANPASSA → corona + anpassa (adapter): ce qu’on fait pour adapter un local à fin que l’on puisse respecter les restrictions
– SUPERSPRIDARE → super + spridare (”propageur”): quelqu’un qui, en étant malade, contribue à la propagation du virus en ne respectant les mesures et restrictions en place
– TURISTKORRIDOR → turist (touriste) + korridor (couloir): accord entre deux (ou plusieurs) pays (où les niveaux de propagation du virus sont rélativement bas) pour rendre le tourisme possible ou plus simple
– HOBBYEPIDEMIOLOG → hobby + epidemiolog (épidémiologiste ?): quelqu’un qui parle du corona sans vraiment savoir ce qu’il dit
D’autres qui font plutôt référence à la crise climatique et qui sont devenus assez populaires en Suède:
– SMYGFLYGA → [göra något i] smyg ([faire quelque chose] furtivement / discrètement ?) + flyga (voler): quelqu’un qui prend « discrètement » un vol, par peur de se faire accuser d’irresponsable
– TÅGSKRYTA → tåg (train) + skryta (se vanter): quelqu’un qui se vante de prendre le train (au lieu de prendre l’avion), puisque c’est plus responsable envers l’environnement
/Gastón
* LUFTKRAM → luft (air) + kram (étreinte, prendre quelqu’un dans les bras): « air hug »
Bonjour à tous,
Merci Gastón et Michel pour ces contributions passionnantes.J’ai essayé de trouver quelques expressions en japonais, langue très imaginative pour les néologismes.
La pandémie covid est habituellement appelée en japonais コロナ禍 (korona-ka, quelque chose comme « la calamité corona »). De nombreux slogans ont été utilisés depuis le début de la pandémie au Japon. Les plus connus probablement sont :
– Go To トラベル (travel) Go To イート/EAT Go To 商店街 (shôtengai, les rues commerçantes), les trois Go To destinés à promouvoir le tourisme intérieur (pour remplacer les touristes étrangers);
– 3密 (sanmitsu : 密閉・密集・密接) les 3 « proximités » (à éviter : les lieux mal aérés, les lieux surpeuplés, les contacts trop proches).
De nombreux néologismes ont été crées/réactivés pour décrire des activités effectuées « en silence » (黙活), comme manger (au restaurant) en silence (les convives remettant leur masque après avoir mangé pour parler) (黙食), fumer/faire une pause cigarette en silence (黙煙), faire du jogging en silence (黙走 ou 黙ラン), prendre l’ascenseur/le taxi en silence (黙乗), etc.
D’autres mots ont pris une nouvelle signification 打ち手 (le vaccinant), 豪奢品 (produits non-essentiels), 越境飲み (se rendre de zones confinées à zones non-confinées (pas de confinement national) pour sortir s’amuser).
Le plus connu (et ironique) est probablement アベノマスク (« abenomasque », le masque en gaze (généralement inutilisable) que le gouvernement Abe a fait envoyer à tous les ménages au Japon, forgé sur le mot valise アベノミクス (abenomics) décrivant la politique économique du PM Abe.
Enfin, un mot utilisé plutôt de manière humoristique pour signifier à quelqu’un de ne pas trop se rapprocher : ソーシャル! (sôsharu, de « social distacing » bien entendu).
Difficile de dire combien de ces mots survivront à la fin de la pandémie.
Bonne fin de journée, Yann